Publication 18 octobre 2019
Qu’est-ce qui a changé dans notre réponse au terrorisme lié à internet ?
Un jeu vidéo qui a mal tourné ?
L’action de « tirer pendant la diffusion en direct » devient de plus en plus un marqueur de ce type d’attaques. Comme Christchurch, ce meurtre par vidéo était rempli de codes et d’indices le reliant à une histoire de crimes haineux. Après s’être présenté comme « anon » – un terme qui désigne les utilisateurs des forums anonymes prisés de l’extrême droite – le tireur a exprimé ses idéologies antisémite et anti-féministe. Ses paroles ont même été prononcées en anglais, comme si destinées à un public mondial. Tout a été calculé dès le départ. Des chercheurs du Centre international d’étude de la radicalisation (ICSR) du King’s College à Londres, ont découvert que dans ses postes sur un forum peu connu, il a comparé ses aspirations à des « gains » semblables à ceux que l’on obtient dans les jeux vidéo. Il a aussi partagé des images d’armes qui semblent avoir été fabriquées avec une imprimante 3D. Mais cette tentative d’assassinat n’a pas été aussi bien exécutée que celles sur lesquelles elle a été modelée : les portes de la synagogue étaient verrouillées, ses armes étaient bloquées, sa voiture avait un pneu crevé car il avait accidentellement tiré dessus.
Une épreuve pour Twitch et le GIFCT
Créé en 2011, le site Twitch se concentre principalement sur la diffusion en continu de jeux vidéo en direct (live video game streaming), ainsi que la diffusion de compétitions d’e-sport, de musique et de contenus créatifs, entre autres. Twitch n’est pas une « petite plateforme », avec une moyenne de 15 millions de téléspectateurs par jour.
Les images de la fusillade sont restées sur le plateforme pendant 65 minutes avant d’être retirées, assez longtemps pour qu’environ 2 200 personnes puissent les visionner. Après avoir retiré la vidéo, la plateforme a partagé le “hash” de la vidéo (signature numérique) avec le consortium GIFCT — dont elle est membre grâce à sa filiation avec Amazon — pour aider à prévenir la prolifération de ce contenu. Fondé en 2017 dans le cadre d’un partenariat entre Facebook, Twitter, Microsoft et YouTube, le groupe est devenu le mois dernier un groupe de lutte contre le terrorisme autonome. Le GIFCT essaie de prévenir la propagation virale des crises dans une logique de coordination entre acteurs, en détectant et en alertant rapidement les autres plateformes sur les contenus terroristes.
Les jeux vidéo et la violence : un faux-fuyant ?
Il est difficile d’être sûr de ses motivations, mais il semble que le terroriste allemand a été inspiré par la propagande en ligne et les activités des « tireurs d’ego » avant lui, plutôt qu’une culture de gaming. Il n’était pas connu pour être un utilisateur de Twitch : il avait créé son compte que deux mois avant l’attentat.
Quant au lien soupçonné entre les jeux vidéo et la violence réelle, de nombreuses recherches se sont penchées sur ce débat, qui s’allume à nouveau dès qu’un incident impliquant des actes de violence et un aspect de jeux vidéo se présente. Mais jusqu’à présent, les recherches n’ont pas permis d’établir un lien tangible. Dernièrement, une étude par des chercheurs de l’Oxford Internet Institute de l’Université d’Oxford n’a pas révélé de lien entre le comportement agressif des adolescents et le temps passé à jouer à des jeux vidéo violents. Certes, vu la diversité des variables, c’est une question difficile à étudier, et une meilleure compréhension de l’interaction de divers facteurs environnementaux, de la culture du gaming et de la banalisation de la violence s’impose.
Une prévention réussie de la viralité, mais pas sur tous les terrains
Il est impossible de faire disparaître complètement la vidéo d’internet, mais la vidéo prise par le tireur n’est pas devenue virale. Des copies ont continué à circuler sur Telegram, 4chan et d’autres sites moins régulés après l’événement, atteignant potentiellement des dizaines de milliers de spectateurs supplémentaires. Toutefois, la vidéo ne s’est pas propagée sur des plateformes plus importantes comme Facebook et YouTube. Cela démontre l’efficacité des récentes initiatives collectives, telles que le GIFCT et son protocole de réponse.
Adam Hadley, directeur de l’organisation à but non lucratif Tech Against Terrorism, basée au Royaume-Uni, a déclaré que le partenariat a largement réussi à contenir le contenu après l’attentat de Halle. « Les sociétés Big Tech ont une relation étroite les unes avec les autres… Ce qui est plus difficile, c’est de coordonner les activités entre des centaines de petites plateformes. » C’est pourquoi son travail se concentre sur les petites entreprises. Cet été, le gouvernement du Canada a accordé à Tech Against Terrorism une subvention d’un million de dollars canadiens, afin d’élargir son travail de soutien aux petites plateformes technologiques dans la lutte contre l’utilisation de leurs services par les terroristes, notamment en développant la Terrorist Content Analytics Platform (TCAP), une plateforme centralisée visant à faciliter la modération du contenu terroriste par les entreprises technologiques et à améliorer l’analyse quantitative des activités terroristes sur internet.
Mais selon Adam Hadley, les médias grand public comme les médias marginaux pourraient améliorer leurs réflexes. Des journaux comme le Daily Mail ont immédiatement publié des séquences de la vidéo de l’événement, ainsi que des photos du cadavre d’une victime. Cela participe à miner les efforts des plateformes dans la prévention de la viralité.
Les chercheurs du Projet sur la violence, un think tank américain dédié à la réduction de la violence dans la société, qui étudie les données provenant de personnes et d’événements comme la fusillade de Halle, identifient des points communs entre ces types d’agresseurs qui peuvent être utiles à l’élaboration de réponses adéquates : par exemple, un traumatisme antérieur, une crise récente, la contagion sociale et l’accès aux armes. En cela, l’impression 3D d’armes est préoccupante. La fusillade a eu lieu quelques semaines seulement après que la première personne ait été emprisonnée pour avoir imprimé un pistolet 3D au Royaume-Uni. Bien que les impressions pour le type d’armes 3D utilisées par le tireur existent depuis longtemps, elles sont de moins en moins coûteuses .
Le Projet sur la violence conseille ainsi de :
- Décourager la couverture médiatique excessive, et de ne pas partager ou ne pas visionner de vidéos sur les actes violents ;
- Empêcher la banalisation de ce comportement ;
- Réduire l’accès aux types d’armes utilisées dans ces tragédies ;
- Signaler quand nous voyons une intention violente exprimée sur les forums de discussion ou sur les réseaux sociaux (vu que la plupart des tireurs publics de masse ont exprimé leurs intentions d’une manière quelconque).
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