Publication 4 mai 2017

Mouvements d’opinion sur Internet, avec Romain Badouard

Maître de conférences à l’Université de Cergy-Pontoise et expert des mouvements d’opinion sur le Web

Interview de Romain Badouard, Maître de conférences à l’Université de Cergy-Pontoise et expert des mouvements d’opinion sur le Web.

Pourquoi (comment et quand) vous êtes-vous intéressé à la problématique des mouvements d’opinion sur Internet ?

J’ai commencé à m’intéresser à la problématique des mouvements d’opinion sur internet lors de la campagne sur le référendum pour le traité constitutionnel européen en 2005. A cette époque, nous en étions aux balbutiements du web social, et à cette occasion le web a été massivement investi par les citoyens français comme un espace de débat alternatif où s’informer et discuter des enjeux du referendum. Alors que les partisans du « oui » bénéficiaient d’un temps de parole supérieur aux partisans du « non » dans les médias « de masse », s’est construit en ligne une opinion collective autour d’un « non de gauche », qui l’a finalement emporté. Depuis, je m’intéresse aux mouvements d’opinion en ligne selon deux aspects : la manière dont le web et les réseaux sociaux constituent des espaces de débat pour des contre-publics qui construisent des discours alternatifs à ceux en vigueur dans les autres médias (comme pour les « Je ne suis pas Charlie » par exemple) ; et la manière dont le web et les réseaux sociaux sont utilisés comme indicateurs de ces mouvements d’opinion par les instituts de sondage, en complément des enquêtes d’opinion traditionnelles.

Quels principaux enseignements tirez-vous de l’impact des réseaux sociaux sur la campagne présidentielle 2017 ?

Deux aspects m’ont particulièrement intéressé.

  • Le premier est la montée en puissance des You Tubeurs comme éditorialistes politiques sur les réseaux sociaux. Sans juger de leur impact réel, ils ont été très écoutés pendant la campagne. En s’affranchissant des formats médiatiques traditionnels, ils ont réussi à toucher un nouveau public, potentiellement peu politisé. Je pense qu’un candidat comme Jean-Luc Mélenchon a su tirer parti de cette dynamique.
  • Le second aspect est celui des « fake news », ces rumeurs politiques qui sont très partagées sur les réseaux sociaux. On a beaucoup parlé dans les médias des réseaux qui les produisaient, pour des raisons politiques (notamment à l’extrême-droite) ou purement économiques (l’économie du clic propre aux réseaux sociaux a engendré une véritable industrialisation de la production de ces rumeurs), mais le véritable enjeu est : pourquoi les internautes les plébiscitent tant ? Sans forcément croire à leur contenu, ils adhèrent à la vision du monde qu’elles véhiculent. Et de quoi nous parlent ces rumeurs aujourd’hui ? De la trahison des élus, de la confiscation de la parole par les médias, d’un certain nombre d’angoisses liées à la mondialisation. Selon moi, le phénomène des fake news est un énième indicateur de la défiance de plus en plus importante de la population vis-à-vis des élites politiques et intellectuelles.

Que pensez-vous des nouveaux moyens de mesure de l’opinion sur le Web par le Big Data ?

Ce sont des outils intéressants, mais sur lesquels il faut être capable de poser un regard critique. Ils sont indéniablement des indicateurs d’intérêt : quand une recherche explose sur Google, où qu’un hashtag devient viral, où qu’une pétition dépasse le million de signatures, c’est qu’il y a derrière une volonté d’intervention dans le débat public d’une partie de la population. Pour autant, les recherches Google, comme les hashtags sur Twitter, sont certes significatifs, mais ne sont pas représentatifs des mouvements d’opinion au sein de la population. De plus, tout un pan du web social n’est pas analysé dans ces études, Facebook notamment, alors que c’est le réseau social le plus populaire, et que c’est l’endroit où les gens débattent le plus. En complément des méthodes « big data », il me paraît primordial de conserver des méthodes « micro » qui analysent les conversations quotidiennes sur le web « à la main ». Car ces nouveaux indicateurs nous disent au final peu de choses sur le sens que l’on peut attribuer à ces mouvements d’opinion.


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