Publication 6 septembre 2017
Dépasser les menaces pesant sur le débat démocratique en ligne
1) Les menaces qui pèsent sur le débat démocratique en ligne
- Avec Internet, le risque induit par les dérives de l’entre-soi s’accentue. Cass Sunstein, professeur de droit à Harvard, revient sur certains mécanismes à l’œuvre sur Internet qui favorisent l’entre-soi et présentent un risque pour la démocratie (Voir l’interview) :
- Le « Daily Me » (ou quotidien hyper-personnalisé) qu’il décrit comme « un phénomène propre à Internet par lequel chacun d’entre nous peut créer son propre univers de communication, choisir ce qu’il souhaite lire, entendre ou voir (…) » . Selon lui, le problème c’est que « la démocratie et la liberté exigent que l’on soit aussi exposé à des expériences que nous n’avons pas présélectionnées ou prévues » .
- Les « chambres d’écho » créées par des communautés d’internautes (un phénomène qui, rappelons-le, n’est pas propre à Internet). Il faut entendre par là, l’exposition à un seul et unique point de vue, dont la conséquence est le repli des internautes sur des communautés d’intérêt ou d’opinion. Ce qui peut s’avérer dangereux. En effet, il précise que « quand des personnes de même avis ne parlent qu’entre elles, elles ont tendance, à mesure qu’avancent leurs échanges, à se radicaliser » . À ce titre, si l’auteur loue l’intérêt de la recherche par hashtag car elle permet d’ « accéder plus rapidement et facilement à des contenus qui vous intéressent », il rappelle que ces hashtags « peuvent aussi servir à se retrancher dans une chambre d’écho ». « La radicalisation et l’extrémisme » trouvent alors dans le hashtag « un nouvel outil de propagation » .
- La difficile modération face aux spécificités de l’Internet . Alors que la principale réponse à la problématique de la haine sur Internet se concentre principalement sur une vision auto-régulatrice (via un code de bonne conduite des plateformes) et punitive de l’Internet fondée sur la modération, Jérémie Mani, président de Netino, rappelle que cette solution n’est « qu’une partie du chemin pour s’attaquer efficacement au problème » (Voir la tribune). En effet, pour le leader français de la modération en ligne cette stratégie est risquée à plusieurs égards :
- Le recours aux outils automatisés de modération « entraînerait des formes de censure involontaire » .
- La mesure visant à obliger l’hébergeur à réagir sous 24h pour modérer un contenu signalé ignore « la réalité du phénomène » , car c’est un temps « beaucoup trop long » pour faire face efficacement à la viralité du Net.
- L’ubiquité du réseau Internet complexifie le travail des modérateurs qui doivent s’adapter aux spécificités culturelles des internautes.
Dès lors, comment dépasser ces menaces et débattre sans haine sur Internet ? Les spécialistes s’accordent à dire que la réponse à ces enjeux se trouve dans notre propension à se confronter aux opinions des autres et à prendre la parole. Si la solution est donc avant tout en nous, la technologie peut néanmoins nous aider à y parvenir.
2) Prendre la parole et se confronter à ceux qui pensent différemment
- La solution est en nous
- Pour Cass Sunstein, nous devons « nous intéresser à ce que les autres pensent, découvrir des problématiques qui nous sont étrangères (…). Cela élargit notre horizon, et c’est de cette manière, en réalité, que notre liberté s’accroît. »
- Quant au président de Netino, il indique qu’il est « urgent d’agir » , car il en va « de la préservation du débat démocratique, et du maintien du « vivre ensemble » au sein de notre société ». Pour ce faire, il préconise notamment de « mettre en place des dispositifs qui ne visent pas à limiter la prise de parole mais plutôt à la protéger et à l’encourager » .
- Même son de cloche pour Ruth Amossy, professeure émérite à l’Université de Tel-Aviv, qui rappelle qu’ « en démocratie, il est important de comprendre qu’il existe différentes façons de raisonner » . (En savoir plus)
- Pour vous confronter « à ceux qui ne pensent pas pareil », Michael Shermer, directeur de publication du magazine Skeptic, vous donne quelques conseils comportementaux pour construire un débat, à défaut de faire changer l’autre d’avis : mettre ses émotions de côté, écouter et analyser l’interlocuteur attentivement, lui montrer du respect, etc. (En savoir plus)
- Les technologies numériques peuvent nous aider
- Wikipédia. L’encyclopédie participative en ligne a établi une véritable ingénierie du débat dont les normes formelles et informelles permettent de « gérer au mieux les conflits et les points de vue divergents » sur des sujet pourtant parfois « très polémiques » . Le secret ? Des mécanismes d’auto-gestion et de contrôle semi-automatisés, dont la transparence est au cœur du fonctionnement. En effet, des « « bots » automatisés corrigent les actes de vandalisme simples et laissent la gestion des cas plus complexes à la communauté » . Une réussite sur le long terme pour « ce système technico-social » puisqu’il a été constaté que « les wikipédiens très marqués idéologiquement publient des contributions de plus en plus neutres au fil du temps » .
- Read Across the Aisle (ou « Lire sans partisanerie ») est une application d’origine américaine qui propose « des articles venus de sources différentes et de sensibilités politiques opposées » . Cet outil précise également « si les lectures sont d’une seule couleur politique » . (Voir l’application)
- Change my View est un forum sur Reddit dans lequel des internautes ouverts d’esprit et au débat son prêts à recevoir des avis contradictoires dans le but d’apporter une autre vision à leurs croyances. Les autres internautes interviennent alors afin d’entamer une discussion sur un sujet donné (En savoir plus).
- Facebook, vers de nouvelles fonctionnalités ? C’est en tout cas le souhait de C. Sunstein qui invite le réseau social à créer un bouton « heureuses trouvailles » qui vous amènerait à « découvrir des informations dans des domaines qui vous sont étrangers » . Ou encore un autre bouton, « point de vue opposé », qui vous « permettrait d’être confronté à d’autres arguments que les vôtres » (En savoir plus).
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