Publication 11 juillet 2018
L’art de la rhétorique comme remède aux manipulations de l’information
Les troubles informationnels à l’épreuve de la narration positive organisée par les Irlandais.
Pendant que les citoyens irlandais allaient se prononcer sur le référendum visant à abolir l’interdiction d’avorter, la société civile s’organisait sur la toile pour se prémunir de la propagande agressive du clan conservateur, et ainsi préserver la qualité du débat et la sincérité du processus démocratique (En savoir plus). C’est ainsi que le 25 mai dernier, les Irlandais découvraient les résultats et se réjouissaient que le « oui » (pour l’avortement) l’avait majoritairement emporté (à hauteur de 66,4 % des suffrages exprimés). Force est de constater que les tentatives de déstabilisation du clan anti-avortement n’ont donc pas eu l’impact attendu. Pourquoi ?
- L’approche anxiogène des « anti-avortement » face à la culture positive des « pro-avortement. Lors de cette campagne, les deux clans ont en effet adopté des stratégies manifestement différentes en vue de persuader les électeurs. Alors que d’un côté, le clan conservateur a misé sur « des publicités agressives à l’américaine, de la désinformation et une rhétorique populiste et droitière qui a parfois pu tourner au conspirationnisme » (En savoir plus), l’autre côté a proposé une stratégie toute autre en cherchant à véhiculer une culture narrative positive. En témoigne le slogan « Together For Yes » du clan progressiste qui s’est notamment matérialisé par la diffusion de témoignages personnels de femmes ou encore la mobilisation de l’art et de la mode pour toucher la jeunesse.
- La victoire de la narration positive du clan pro-avortement. La stratégie agressive du clan conservateur semble avoir agacé et éloigné les électeurs irlandais du « non « . A contrario, ils ont davantage été touchés et influencés par les récits positifs de l’autre clan. Un sondage post-référendum mené par une chaine de télévision nationale a d’ailleurs confirmé ces dires, puisque « pour 43% des personnes interrogées, le vote a été influencé par des récits personnels ». Au-delà de cette authenticité narrative, d’autres actions collaboratives innovantes ont permis à la société irlandaise de faire primer sa résilience face aux tentatives de déstabilisation de l’autre clan sur les réseaux sociaux.
- La résilience technologique organisée de la société civile irlandaise. Forte des précédentes expériences déstabilisatrices qui ont pu se dérouler pendant les moments d’effervescence politique aux États-Unis ou en Europe, la société civile irlandaise a mené plusieurs actions sur les réseaux sociaux pour préserver la qualité du débat démocratique pendant la campagne référendaire :
- La « Transparent Referendum Initiative » visait à « consigner » toutes les publicités politiques en ligne reçues sur Facebook pour ensuite les analyser (En savoir plus) ;
- L’outil « Repeal Shield » visait à offrir un dispositif technologique afin de bloquer une liste de comptes automatisés qui opéraient sur Twitter en viralisant les messages de division et de haine (En savoir plus).
Si dans le cas de l’Irlande, la mobilisation collective est l’une des principales raisons de l’adhésion aux récits positifs des « pro-avortement », un spécialiste du langage a mis en place une méthode de rhétorique linguistique qui démontre en quoi l’utilisation stratégique des mots peut avoir un impact non négligeable pour imposer des idées et donc pour décrypter individuellement les manipulations de l’information.
La rhétorique linguistique comme méthode de décryptage.
George Lakoff, professeur engagé de linguistique cognitive à l’Université de Berkeley, en est convaincu : plus que la certification de l’information, la rhétorique linguistique serait LA méthode pour débusquer les mensonges sous-jacents aux fausses informations. En fondant sa réflexion sur le décryptage des techniques du langage utilisées par les politiciens, l’expert entend mettre à disposition un manuel, baptisé « le sandwich de la vérité » pour démasquer les fausses informations (Lire l’article). Cette méthode consiste à :
- Comprendre avant tout le cadrage d’une information. Selon lui, c’est le cadrage de départ qui va orienter et enfermer l’ensemble du débat. L’objectif du cadrage « n’est alors pas de convaincre l’auditoire mais de s’assurer que le débat reste circonscrit aux valeurs que l’émetteur souhaite transmettre [et imposer donc] ». Pour ce faire, l’utilisation de mots et d’expressions soigneusement choisis est un vecteur puissant.
- Analyser la puissance et l’agencement des mots utilisés. Selon les spécialistes en linguistique, « tout est dans la manière de présenter les mots ». L’article poursuit en expliquant de façon simple mais déconcertante que « l’équation rêvée pour imposer une idée = un nom + un adjectif ». Et dans cette logique, « plus l’adjectif accolé au nom est inattendu, plus ça marche », car cela stimule certaines zones de notre cerveau. « Allègement d’impôt », « invasion migratoire » ou encore « croissance verte », sont autant d’exemples de cadrage de débats politiques qui permettent de mieux comprendre l’exposé de son raisonnement.
- Privilégier la présentation des faits plutôt que la vérification des faits. George Lakoff résume alors sa méthode dite du « sandwich de la vérité » par l’allocution suivante : « commencez d’abord par la vérité que la personne essaie de cacher. Vous tirez ça au clair et puis ensuite, vous montrez ce qu’il essaie de cacher par son mensonge ». Pour contrer les fake news, le professeur recommande alors aux journalistes de se concentrer davantage sur la mise en perspective des faits, plutôt que sur leur contradiction par la pratique du fact-checking qui serait de nature à renforcer le phénomène plutôt qu’à l’endiguer (En savoir plus).
Sur le même sujet
-
Publication 10 juillet 2019
Lutte contre les infox et projet InVID, avec Denis Teyssou
-
Publication 10 juillet 2019
Les deepfakes : un défi pour nos démocraties