Publication 16 janvier 2020
Les internautes combattent la haine en ligne, avec Cathy Buerger
Pouvez-vous présenter en quelques mots le sujet de vos recherches au Dangerous Speech Project ?
Lorsque je suis arrivée au DSP en 2017, mes recherches ont porté principalement sur les réponses des utilisateurs (au lieu de celles menées par le gouvernement ou les plateformes) aux discours nuisibles en ligne. Je suis anthropologue de formation, et cela a vraiment influencé ma réflexion sur les communautés en ligne. Tout au long de ma carrière, mes recherches ont toujours consisté à étudier comment les communautés travaillent ensemble afin de soutenir des normes positives et de faire respecter les droits de la personne. En ce moment, je cherche particulièrement à comprendre les motivations et les stratégies des gens qui choisissent de passer leur temps à combattre la haine en ligne : que cherchent-ils à atteindre ? Comment déterminent-ils à qui et comment répondre ? Et, peut-être la question la plus importante, qu’est-ce qui constitue leur succès ?
On entend beaucoup parler aujourd’hui de contre-discours en réponse aux contenus dangereux, mais il y a un manque relatif de recherche sur ces stratégies. Pouvez-vous nous parler un peu de votre travail dans ce domaine et de la façon dont vous essayez d’évaluer le pouvoir potentiel du contre-discours ?
En effet, pour un sujet qui est souvent présenté comme une solution à la haine en ligne, il n’y a vraiment pas beaucoup de recherches pour savoir si le contre-discours est efficace ou non. Récemment, nous avons publié une bibliographie annotée des recherches sur le contre-discours, mais c’est un domaine très restreint. Ce que j’ai appris de mes recherches sur les divers efforts de contre-discours, c’est qu’il ne suffit pas de se demander si le contre-discours est efficace. Nous devons d’abord prendre du recul et nous demander « que tentent réellement d’accomplir ces efforts ? » Une des conclusions de ma recherche sur ceux qui travaillent à contrer la haine en ligne est qu’ils n’ont pas tous les mêmes objectifs. Nous pensons souvent que les contre-intervenants (« counterspeakers« ) essaient principalement de modifier le comportement ou les opinions des personnes haineuses auxquelles ils répondent. Mais parmi les nombreuses personnes que j’ai interrogées et qui participent à ces efforts, la plupart déclarent qu’elles essaient en fait de faire quelque chose de différent. Ils essaient d’atteindre un public de lecteurs plus large ou d’avoir un impact positif sur le discours dans des espaces en ligne particuliers. Les stratégies qu’on emploie pour atteindre de tels objectifs seront très différentes de celles qu’on pourrait utiliser si on essaye de changer l’esprit ou le comportement de quelqu’un qui publie un discours haineux. Améliorer notre compréhension des objectifs de ceux qui travaillent dans cet espace nous aidera à étudier plus précisément l’efficacité du contre-discours. Par exemple, je termine actuellement une ethnographie numérique des groupes d’internautes qui réagissent collectivement face à la haine en ligne. La recherche est centrée sur le réseau #iamhere, qui compte plus de 130 000 membres dans 14 pays (dont la France). Les groupes (chacun des 14 pays a son propre groupe) réagissent collectivement à la haine en ligne, et mes conclusions suggèrent qu’ils sont capables de modifier le discours, pas nécessairement en diminuant le contenu haineux mais en augmentant le contenu constructif dans des espaces en ligne particuliers. Donc, comme je l’ai expliqué, des études à ce sujet peuvent nous aider à comprendre que nous devons éventuellement repenser ce que nous mesurons lorsque nous étudions l’efficacité du contre-discours.
Au-delà de vos recherches, vous coordonnez une bourse de recherche mondiale du Dangerous Speech Project, le Dangerous Speech Project Global Research Initiative Fellowship. Qu’est-ce qui a inspiré ce projet et comment avance t-il ?
La Global Research Initiative Fellowship a été inspirée par le fait que les discours dangereux sont mieux compris par ceux qui vivent dans le contexte de leur diffusion. C’est pourquoi nous avons placé au premier rang de nos priorités organisationnelles la collaboration avec des chercheurs du monde entier pour documenter des exemples de discours dangereux. Au cours des trois dernières années, nous avons mandaté des études de cas détaillées sur les discours dangereux en République tchèque, au Danemark, en Allemagne, en Hongrie, au Pakistan et aux Philippines dans le cadre de notre Initiative de recherche mondiale. Au début de 2019, nous avons formalisé cet effort en proposant un appel aux propositions dans le cadre d’un nouveau programme, et en septembre, nous avons annoncé notre première classe de boursiers représentant 10 pays différents (Afrique du Sud, Australie, Hong Kong, Inde, Myanmar, Soudan du Sud, Espagne, Turquie, États-Unis et Venezuela). Cela a été un processus passionnant de les conseiller et d’en apprendre davantage sur le fonctionnement des discours dangereux dans chacun de leurs contextes. Chacun d’entre eux rédigera des articles pour notre blog, et nous publierons leurs études de cas sur notre site Web lorsqu’elles seront terminées, donc vous serez bientôt en mesure d’en apprendre beaucoup plus sur leurs projets individuels.