Publication 24 janvier 2025

Le Passeport numérique du produit, avec Sophie Le Pallec

Responsable des affaires publiques, GS1

Le 18 juillet 2024, le Règlement européen sur l’écoconception des produits durables (REPD), dit “règlement écoconception” ou Ecodesign for Sustainable Products Regulation (ESPR) en anglais, est officiellement entré en vigueur. Au-delà de prévoir la fixation d’exigences obligatoires pour les marchés publics écologiques et de créer un cadre visant à éviter que les produits de consommation invendus soient détruits, il établit également un “passeport numérique de produit” (Digital Product Passport, en anglais, ou DPP). Qu’est-ce que ce passeport et quels sont ses objectifs ? Selon quelle temporalité et comment va se dérouler le déploiement du DPP ? Que va changer concrètement sa mise en œuvre dans la vie des consommateurs européens ? Comment les acteurs non européens, qui pourraient y voir une tentative de protectionnisme, perçoivent-ils cette initiative ? Découvrez dans cette interview les réponses de Sophie Le Pallec, responsable des affaires publiques et règlementaires chez GS1 France et membre du Conseil d’administration de Renaissance Numérique.

Pouvez-vous nous expliquer ce qu’est le Passeport numérique et quels sont ses objectifs ?

Le dispositif du Passeport numérique des produits – ou Digital Product Passport (DPP) en anglais – découle de la volonté de l’Union Européenne de faire du territoire européen le fer de lance de l’éco-conception et de la production durable. Il s’inscrit dans le cadre général du Pacte vert, lancé en décembre 2019. Le Passeport numérique constitue l’une des dispositions du nouveau Règlement sur l’Eco-conception des produits durables (REPD), adopté par le Parlement européen en avril 2024 et entré en vigueur le 18 juillet 2024.

Tout d’abord, il faut bien comprendre que le Passeport numérique des produits s’inscrit dans un dispositif nouveau plus large, posé par le REPD (ou ESPR, pour Ecodesign for Sustainable Products Regulation, en anglais), qui vise à réserver à terme l’accès du marché européen aux produits éco-conçus, au regard de tout un ensemble de critères. Il s’agit donc ni plus ni moins que d’interdire l’accès au marché aux produits moins-disants d’un point de vue environnemental. Seuls les produits qui atteindront les seuils fixés par la Commission européenne pourront entrer sur le marché, quels que soient leurs lieux de production.

Sophie Le Pallec

Responsable des affaires publiques, GS1

"Le Passeport numérique des produits s’inscrit dans un dispositif nouveau plus large, posé par le REPD (ou ESPR, pour Ecodesign for Sustainable Products Regulation, en anglais), qui vise à réserver à terme l’accès du marché européen aux produits éco-conçus, au regard de tout un ensemble de critères."

Le Passeport numérique, qui devra alors accompagner certains articles autorisés à entrer sur le marché, permettra d’afficher leurs performances environnementales et de les partager avec l’ensemble des parties prenantes, le consommateur européen en premier lieu. Les informations seront accessibles grâce à l’identifiant unique de l’article, encapsulé dans un QR code, une puce RFID (ou tout autre moyen approprié) et lié au produit, son packaging ou sa notice. Mais en fixant aussi des exigences en matière d’information, notamment celles utiles à la circularité des produits entre tous les acteurs de la chaîne de valeur, le Passeport numérique devrait contribuer à faciliter leur seconde vie, au travers de la réparation, du réemploi, du recyclage, à limiter le gaspillage et la destruction d’invendus et ainsi réduire notre production massive de déchets.

Quand et comment va se dérouler le déploiement du passeport numérique des produits ?

Le Passeport numérique des produits sera obligatoire seulement pour les catégories de produits qui auront été expressément couvertes par un acte délégué. En revanche, le règlement exclut d’emblée les denrées alimentaires, les aliments pour animaux, les produits pharmaceutiques et vétérinaires et les véhicules à moteur thermique.

Le REPD (ESPR) devra donc, pour être applicable, être complété par tout un ensemble d’actes délégués qui vont spécifier, notamment par catégorie de produits, les informations demandées et les délais de mise en conformité. Parallèlement à la publication de ces actes, des normes techniques viseront à spécifier l’architecture technique et organisationnelle du dispositif : identifiant, “véhicule” de la donnée (data carrier), formats de données, modalité de stockage et d’accès aux données, etc. Le Comité européen de normalisation (CEN) et le Comité européen de normalisation électrotechnique (CENELEC) ont la charge de publier ces normes d’ici fin 2025. Toutefois, au vu de l’avancée des travaux, les premières normes ne verront probablement pas le jour avant le printemps 2026.

Certains produits finis (textile, électronique, pneus, détergents…) et intermédiaires (acier, fer, aluminium, plastiques, produits chimiques…) sont considérés prioritaires par le REPD (ESPR) et devraient faire partie des premiers actes délégués dont les publications devraient commencer dès 2026. Ainsi, nous pouvons espérer les premières mises en conformité à partir de 2027. Pour l’heure, la Commission européenne travaille sur le textile et l’acier, et il est important que les entreprises concernées soient conscientes des enjeux à venir. Parallèlement à ce “régime général”, certains textes sectoriels spécifiques prévoient aussi la mise en œuvre d’un Passeport numérique des produits. C’est le cas des batteries, avec le règlement 2023/1542 relatif aux batteries et aux déchets de batteries, qui entrera en vigueur en février 2027, mais aussi de textes à venir dans des secteurs comme la construction ou les jouets.

Sophie Le Pallec

Responsable des affaires publiques, GS1

"Nous pouvons espérer les premières mises en conformité à partir de 2027. Pour l’heure, la Commission européenne travaille sur le textile et l’acier, et il est important que les entreprises concernées soient conscientes des enjeux à venir."

Quel est le rôle de GS1 dans tout ça ?

GS1 est une organisation mondiale, neutre et à but non lucratif, créée il y a 50 ans par les entreprises du monde du commerce pour disposer d’un espace neutre de concertation afin d’élaborer ensemble un langage informatique commun. C’était le début de l’automatisation du commerce et elle s’est d’abord traduite par la généralisation du code-barres sur les produits, permettant d’automatiser le passage en caisse.

Le code-barres permet d’encoder un identifiant article, le GTIN (Global Trade Item Number), unique sur le plan international et utilisé sur des millions de produits, qui permet d’appeler dans toutes les bases de données produit existantes les informations relatives à un article donné. Aujourd’hui, avec internet, les usages du GTIN ont largement dépassé cette fonction initiale : des applications consommateurs (Yuka, Open Food Facts) mais aussi celles de la Direction générale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des fraudes (SignalConso, RappelConso, DérogUkraine) utilisent le GTIN comme clé d’accès aux données produits ou pour retrouver le détenteur de la marque (Registres GS1).

Demain, les entreprises continueront d’utiliser le GTIN pour faire le lien avec les nouvelles informations consommateurs, que ce soit l’affichage environnemental, le Nutriscore ou le Passeport numérique des produits. Pour faciliter cette évolution, GS1 a standardisé l’information qui peut être encapsulée dans un QR code classique, afin de pouvoir afficher plusieurs types d’informations, de manière contextualisée en fonction des besoins : plus besoin de démultiplier les QR code sur le packaging produit, un seul suffit. C’est pour cette raison que l’on parle désormais de “QR Code augmenté GS1”. À l’heure de la réduction de l’impact des emballages, il répond à un besoin crucial des marques.

Au-delà des éléments de capture de l’information, GS1 dispose de tout un ensemble de standards (formats de données, protocoles d’échanges), qui permettent aux prestataires de proposer d’ores et déjà des solutions répondant aux éléments connus du cahier des charges réglementaire. Nous travaillons avec de nombreux partenaires, notamment au sein du consortium européen CIRPASS, financé par la Commission européenne, sur des pilotes sectoriels.

Que va changer concrètement le Passeport numérique des produits dans la vie des consommateurs ?

Le Passeport numérique des produits poursuit plusieurs objectifs : aider les consommateurs à faire des choix éclairés, mettre des informations à la disposition des acteurs tout au long de la chaîne de valeur, et améliorer la traçabilité des produits tout au long de leur cycle de vie. Les informations mises à disposition par le Passeport numérique seront définies par catégorie de produit, mais elles devront systématiquement informer quant à la performance, la circularité (durabilité, recyclabilité), la conformité et l’utilisation du produit (ex : manuel).

Sophie Le Pallec

Responsable des affaires publiques, GS1

Pour les consommateurs, le Passeport permettra donc d’orienter leur consommation sur des bases objectives d’un point de vue environnemental, et de disposer d’informations cruciales pour l’entretien et la réparation du produit, afin d’allonger sa durée de vie. 

Comment appréhender la réception du Passeport numérique des produits par les acteurs non européens, qui pourraient y voir une tentative de protectionnisme ?

Le texte a été extrêmement soutenu au niveau européen par l’ensemble des parties prenantes. D’une part, il est cohérent avec l’ambition européenne de rendre la production plus soutenable et pas seulement d’un point de vue carbone. D’autre part, il met l’ensemble des producteurs, européens ou non, sur un pied d’égalité au regard de cette ambition. De nombreux producteurs européens fournissent des efforts notables sur le plan environnemental, mais sont pénalisés en termes de compétitivité, au regard d’importations à bas coût et de qualité environnementale moindre. Ils ont besoin de pouvoir objectiver, de manière lisible pour le consommateur, des pratiques de production moins impactantes pour la planète. Cependant, rien ne garantit à ce stade que le consommateur soit prêt à dépenser davantage pour arbitrer en faveur de produits de meilleure qualité environnementale.

La France est connue pour être en avance sur les mesures d’éco-conception : comment cela se traduit-il en pratique ? 

La France ambitionne de donner la capacité aux entreprises françaises d’anticiper la mise en place du DPP et de prendre une longueur d’avance sur le marché européen en matière de mise en conformité du REPD (ESPR) et de visibilité consommateur. En matière d’éco-conception, la France a déjà pris une mesure d’avance avec la loi AGEC (“anti-gaspillage pour une économie circulaire”) et la loi dite “Climat et Résilience”. L’indice de durabilité, l’affichage environnemental et des données QCE (qualités et caractéristiques environnementales) des produits et des emballages, l’interdiction de destruction de certains invendus, font partie de ces initiatives françaises dont la mise en œuvre a déjà commencé et qui préparent les entreprises françaises aux dispositions du passeport numérique.