Publication 10 juillet 2017
Internet : entre désenchantement et désillusion, avec Guillaume Sire
Au coeur du roman Où la lumière s’effondre se trouve la question quasi existentielle de la destruction d’internet : est-ce possible ? Si on peut techniquement essayer de trouver des moyens de détruire internet, la question fondamentale que Guillaume Sire pose réside surtout dans ce que nous allons faire d’internet. Il observe d’ailleurs avec amusement que, dans les romans, le numérique a rarement sa place. Ce roman est donc presque un pied de nez à un monde qui considère internet avec distance. Sire se demande par là même ce que va faire la littérature de cet « objet » numérique…
Pourquoi la Silicon Valley ?
Si le livre est un cadre qui interroge son contenu avec cet effet miroir d’une littérature qui considère le numérique comme un objet vulgaire, le contenu vient lui poser la question de ce que nous bâtissons avec nos imaginaires d’internet et de ce que la Silicon Valley produit.
Pour l’auteur, à l’inverse des grands discours prophétiques, internet est une reconfiguration du monde et non une rupture. Il n’y a pas d’avant et d’après internet. Internet est un processus long, fait d’évolutions, de reconfigurations, de systèmes de relations.
Et la Silicon Valley est alors l’extrême occident, où l’on a longtemps écrit ces prophéties. Là où la lumière se couche, et s’effondre… Mais c’est aussi là où les illusions se perdent, où ce que l’on croyait être une nouvelle ère des lumières s’effondre littéralement, remettant le progrès en question et où la lumière s’est en effet aujourd’hui éteinte.
Ce désenchantement qui fascine Sire tient selon lui à une trop grande absence des sociologues et des penseurs des sciences sociales dans la Silicon Valley. Les discours que produit la Silicon Valley se concentrent sur des utopies techniques qu’ils ont forgés, mais ce n’est pas la Silicon Valley qui a inventé internet. La Silicon Valley se l’est approprié en y calquant un esprit ultra libéral où l’argent est roi, où l’ingénieur a toujours le dernier mot et où le monde des idées ne trouve pas sa place.
Un monde de désillusions touchantes
S’il n’est pas question d’une attaque contre la Silicon Valley, c’est d’une désillusion dont il est question. D’une époque où tout semblait possible (la campagne d’Howard Dean en 2004, par exemple), nous sommes aujourd’hui rentrés dans une ère purement orientée sur la compétitivité.
Cette euphorie des possibles est d’ailleurs très liée à ce qu’observe Fred Turner dans son ouvrage Aux Sources de l’Utopie Numérique. Paradoxalement, l’idéologie d’internet s’accompagne d’un retour à la nature.
Pour Sire, ces doux rêves sont intéressants car idéalistes. Même Sir Tim Berners-Lee, par exemple, a du mal à se rendre compte des enjeux nouveaux d’internet aujourd’hui, avec notamment les consortiums émergents comme WhatWG, qui proposent des normes concurrentes au HTML5 qui tendent à un internet plus fermé.
Le règne de l’ingénieur a brisé les rêves
Ce glissement tient beaucoup au règne de l’ingénieur : on s’est fourvoyé dans le « tout code », on a ouvert des écoles spécialisées, etc. Mais on a oublié de véritablement former les ingénieurs, de leur apprendre à réfléchir avec un esprit critique au monde qui les entoure, de les initier à la sociologie, aux sciences sociales. Bref, de leur faire prendre conscience des conséquences de leurs actes… Or, il faut une conscience politique pour forger des bâtisseurs d’internet !
Le progrès était censé nous libérer, mais nous n’allons plus vraiment dans ce sens : comment y faire autre chose que des pubs et du porno ? On ne peut qu’être déçus du basculement que nous vivons aujourd’hui.
Internet a servi des causes, des rêves (le roman est d’ailleurs dédié à Aaron Swartz), mais ce qu’est internet aujourd’hui, c’est nous qui l’avons construit. En effet, pour bien penser internet, il faut sortir du déterminisme technologique car internet est et sera toujours ce qu’on en fera.
Il faut remettre de la complexité dans notre manière de penser internet. Le réenchantement viendra par la culture. On sortira alors des imaginaires pour forger quelque chose de nouveau.
Détruire internet, est-ce possible ?
Cela passe nécessairement par une violence analogique pour le détruire physiquement.
Mais, plus pragmatiquement, on peut tendre à une destruction de ce qu’est aujourd’hui internet avec :
- la dimension sécuritaire : on détruit ce qui existe pour construire autre chose, plus performant face aux diverses menaces
- la dimension privée : avec l’Encrypted Media Extensionpar exemple, nous fabriquons des silos
Aujourd’hui, internet c’est le Web, mais demain, qu’est ce que ce sera ?