Publication 3 juillet 2017
Exception culturelle et numérique, avec Alexandre Moatti
Depuis la démocratisation d’internet, “numérisque” semble effrayer certains technocrates, politiques et intellectuels. Les postures frontales d’opposition et de mise en garde sont légion. Alexandre Moatti nous invite au contraire à inverser le débat en reprenant le sujet du point de vue de l’accès à la connaissance.
L’exception culturelle au coeur du débat
Inverser le sens de l’exception culturelle
Quand Moatti nous dit qu’il faut inverser le sens de l’exception culturelle, il agit en faveur d’un renouveau de sa signification afin qu’elle porte davantage la diffusion de la culture. Cette diffusion devrait être selon lui une priorité absolue alors même que les politiques culturelles publiques tendent aujourd’hui à défendre des intérêts privés.
C’est la notion même d’exception culturelle qu’il faut ici questionner en dehors de tout aspect marchand. Cette notion doit changer de direction et se tourner vers les internautes plus que vers l’industrie culturelle.
Pour un État fédérateur et patrimonial
Plus fondamentalement, ce sont des politiques publiques qui sont à repenser afin qu’elles servent davantage le citoyen : c’est donc son sens, à savoir sa direction qui est ici à repenser. A l’heure du numérique et de la diffusion débridée des contenus, il devient urgent de faire évoluer un modèle ancré dans le passé, comme l’ont déjà fait certains partenaires européens, l’Allemagne par exemple.
Au centre de cette politique réside la problématique de l’iconographie, emblématique des problèmes que nous connaissons. La page Wikipédia du Général De Gaulle est tout ainsi illustrée par des fonds allemands et américains !
Dans les arcanes des politiques publiques
Des projets sur-financés
Porteur en 2005 du projet Europeana, Alexandre Moatti a aussi vécu les écueils sur lesquels les décisions politiques se sont brisées, alors même qu’avec un projet comme Gallica, la France avait une longueur d’avance ! Témoin de l’intérieur, il nous a donc livré son vécu d’acteur d’un système qui louvoie au gré de la conjoncture politique.
Au lieu de privilégier des projets favorisant la diffusion de la connaissance, on a préféré valoriser des projets de recherches tous similaires en les sur-finançant en espérant ouvertement contrer Google ou Wikipédia plutôt que de collaborer !
Pour un dépôt légal des ouvrages numériques
Derrières ces décisions, c’est le sacro-saint patrimoine culturel européen que nos institutions essayent de protéger. “Mais de quel droit numérisez vous le patrimoine européen ?” aurait demandé le président de la BNF au président de Harvard. Moatti ne nie cependant pas ce patrimoine culturel et pour lui, la bonne réponse serait de mettre en place un dépôt légal numérique des ouvrages (en plus du dépôt légal papier) numériques nous permettant ainsi d’assurer la continuité du savoir et de préparer les bibliothèques numériques du futur.
Au lieu de se lancer dans des projets contreproductifs comme la collaboration avec Proquest (financé par le Grand Emprunt), l’Etat devrait avoir davantage confiance dans son patrimoine numérique afin de capitaliser dans des projets comme Gallica au lieu de se tourner vers le privé. C’est là que se trouve la réponse à la politique que doit adopter l’Etat.
Se battre contre les soupçons
Quand il y a “numérique”, il y a “soupçons” et Moatti veut justement sortir de toute vision doctrinale. En France, tout projet culturel est forcément porté par l’Etat et c’est parfois ce qui est reproché à Wikipédia : être libre, voire libertaire et ne pas avoir d’auteur. Pour Moatti, il faut au contraire accompagner le changement et fort heureusement, le débat actuel sur les communs permet de reprendre ce sujet.
Cet accompagnement du changement passe par la définition d’une loi du domaine commun pour éviter que chacun s’approprie et interprète le droit. Il faut aussi poser davantage la question de l’internet de la connaissance : internet n’est pas que le mal, c’est aussi le véhicule d’un foisonnement de la connaissance.
Sortir de l’affrontement technophilie/technophobie pour faire avancer les idées
En guise d’ouverture, Alexandre Moatti nous a amené sur son nouveau terrain de recherche : l’appréhension du progrès technique (et notamment d’internet) dans la société. Ce point de vue apporte une perspective supplémentaire à son travail en ce qu’il l’intègre dans une histoire qui ne cesse de se répéter.
Une histoire du progrès technique… qui se répète
Il y a toujours ceux qui s’enthousiasment pour le changement et ceux qui le critiquent. Sadin, Morozov, Fleury, Serres… Tous ont des discours qui s’inscrivent dans une histoire qui se répète où chacun campe sur des positions antagonistes. La vérité doit pourtant être nuancée pour faire avancer le domaine des idées et faire émerger des initiatives positives pour la connaissance et non plus les postures… La création d’une médiathèque publique de l’internet culturel en est un exemple, regroupant les émissions culturelles de radio-télévision dans un portail public à accès gratuit.
Cet échange fort intéressant s’est conclu par un mini débat dans le débat entre l’auteur et l’ancien Directeur Général de la SACEM, Bernard Miyet. Pour ce dernier, il faut aussi nuancer le propos en se posant sur la définition des notions que l’on manie. L’exception culturelle n’est pas là pour protéger les droits d’auteurs, elle est là pour éviter d’engager la culture dans une spirale de libéralisation à outrance.
Quant au droit d’auteur, l’ancien Directeur Général de la SACEM nous rappelle qu’il a toujours été remis en question au cours de l’histoire. Malgré tout, Moatti insiste sur le fait que le problème vient encore et toujours du fond : on se satisfait de rustines plutôt que de traiter le fond des choses : ainsi le sujet de la connaissance est-il un vrai sujet, à prendre en considération par les hérauts de l’exception.
Pour en savoir plus, découvrez l’interview d’Alexandre Moatti