Publication 26 novembre 2016
Enjeux du numérique dans le secteur de la culture, avec Cédric Manara et Hervé Rony
Dans quelles mesures le numérique est une opportunité pour la création et la diffusion des œuvres culturelles ?
Cédric Manara : Le numérique est un outil formidable pour la création et la diffusion d’oeuvres. Par la baisse des coûts de production mais également la suppression des barrières à l’entrée, Internet permet d’encourager la création, par tous. Aujourd’hui juste sur YouTube par exemple, ce sont plus de 400 heures de vidéos qui sont mises en ligne chaque minute.
Cédric Manara,
Copyright counsel, Google
À titre d’exemple, le clip d’Adèle a été vu plus de 50 millions de fois lors de ses premières 48 heures en ligne, soit une moyenne de plus d’1 million de vues par heure. La récente étude Strategy & (Pwc) “The Digital Future of Creative Europe” indique que la croissance des revenus des industries créatives provient principalement du numérique. Ce n’est donc plus une opportunité mais une réalité !
Hervé Rony : Il faut distinguer deux aspects : la création d’une part, l’environnement économique d’autre part. En termes de création, le numérique propose à l‘évidence de multiples opportunités. Les matériels numériques offrent des possibilités techniques tout à fait enthousiasmantes. La diffusion des œuvres est par ailleurs beaucoup plus facile. L’auteur peut a priori avoir accès à un public extrêmement large. Mais internet ne génère pas forcément beaucoup de revenus, en tout cas généralement moins que les formes de diffusion traditionnelles (livres, cinéma, télévision, radio etc…). C’est là que le bât blesse. D’où un débat sur le partage de la valeur, clef de l’avenir de la création numérique. Un partage de la valeur entre producteurs- éditeurs-auteurs-artistes mais aussi un partage de la valeur avec les grands acteurs du net, Google, Apple, Facebook, Amazon…
Quelle position adoptez-vous face à la volonté de la Commission de simplifier et harmoniser les règlementations nationales qui empêchent aujourd’hui un citoyen européen d’avoir accès à un bien culturel en ligne diffusé depuis le site d’un autre Etat-membre que celui où il se trouve actuellement ?
HR : Si vous parlez de l‘interopérabilité des offres et de leur portabilité au sein de l’Union européenne, j’y suis évidemment favorable. Les sociétés d’auteurs comme la Scam n’ont pas la main pour décider des accords nécessaires entre exploitants de ces offres mais nous ferons tout pour les faciliter. C’est notre intérêt. Et résoudre la question sur ce plan c’est bien démontrer, contrairement à une idée répandue, que les droits d’auteur ne sont pas un facteur bloquant. Cependant, si le citoyen européen peut légitimement prétendre accéder depuis n’importe quel État membre aux offres existant dans tel autre Etat, ceci ne doit pas se faire au détriment de nos rémunérations.
CM : Nous comprenons que l’attente des utilisateurs soit forte pour un accès en ligne aux oeuvres, où qu’ils soient. Il importe toutefois que cet accès se fasse dans le respect des droits portant sur ces oeuvres. Aujourd’hui, sur YouTube, notre outil Content ID permet aux ayants droit de déterminer eux-mêmes la règle qui s’applique aux contenus qu’ils mettent en ligne et en fonction des territoires. Ils peuvent choisir, au moyen du Content Manager System, d’utiliser la règle de blocage, de suivi ou encore de monétisation pour générer des revenus complémentaires. Les ayants droit disposent donc déjà de moyens de rendre accessibles les oeuvres au plus grand nombre.
Comment dans une logique coopérative, acteurs publics, société civile et acteurs privés pourraient contribuer à repenser l’utilisation des oeuvres culturelles (littérature, photographie, Beaux-arts) tombées dans le domaine public ? Une des pistes de simplification avancée à Bruxelles, concernant les monuments publics, est la liberté de panorama, est elle satisfaisante ? en envisagez-vous d’autres ?
CM : Une étude Business Insider montrait qu’en août 2013 758 millions d’images étaient partagées chaque jour sur les plus grands sites communautaires. En 2014, ce chiffre était monté à plus de 1,8 milliard rien que sur Flickr, Snapchat, Instagram, Facebook et WhatsApp ! Ces chiffres impressionnants montrent à quel point les usages ont évolué ! Les selfies, par exemple, font désormais partie des activités sociales usuelles. Et il est courant de faire des autoportraits devant des monuments ou immeubles… lesquels peuvent être protégés par le droit d’auteur.
Cédric Manara,
Copyright counsel, Google
Quand il existe un décalage entre les attentes ou pratiques sociales et le droit, qu’il s’agisse du droit d’auteur ou de tout autre domaine juridique, il est logique, et souhaitable, qu’une réforme intervienne !
HR : Oserais-je vous avouer que je reste dubitatif face à ce genre de questions. Connaissez-vous aujourd’hui des problèmes sérieux dans ce domaine ? Dites-moi qui a été poursuivi devant les tribunaux pour avoir pris la photo d’une œuvre d’art postée sur sa page Facebook ? Qui a été poursuivi pour avoir mis en ligne comme UGC une œuvre transformative? Et Wikipédia ne peut-elle vraiment pas signer un accord avec les ayants droit ? Soyons pragmatiques avec les usages à but non lucratif, je vous l’accorde. Doit-on d’ailleurs pour cela légiférer ? Mais ne tombons pas dans une sorte d’angélisme qui consisterait à abandonner l’essentiel de nos prérogatives alors même que des usages lucratifs sont faits de nos œuvres. Je le dis régulièrement : si des œuvres sont bien exploitées sans perspective de gains, soyons souples. Mais quand des intermédiaires exploitent des œuvres à des fins économiques, les exceptions ne sont en général pas légitimes.