Publication 2 décembre 2024
Bilan de la mandature européenne qui s’achève, avec Etienne Drouard
Dans la lignée de la publication de la note « Politique numérique de l’UE : l’heure de la cohérence a sonné », Etienne Drouard, membre du bureau de Renaissance Numérique, a été interviewé par le journal Atlantico. L’occasion pour lui d’analyser les principaux défis qui attendent les nouveaux commissaires et députés européens dans le domaine de la régulation du numérique.
Alors que la précédente législature a introduit une série de textes majeurs (DMA, DSA, AI Act…), leur adoption rapide s’est souvent faite sans réelle coordination, créant un défaut d’articulation entre ces différentes réglementations, qui met en péril leur efficacité. Dans cet entretien, Etienne Drouard souligne l’importance pour la nouvelle Commission européenne d’élaborer des textes de procédure et d’interprétation, tout en assurant une coopération efficace entre les régulateurs européens. Une ambition d’autant plus stratégique que la situation géopolitique s’annonce de plus en plus tendue…
Quelles doivent être les priorités pour la nouvelle mandature européenne en matière de législation numérique ? Les instances européennes auront-elles tous les outils en main pour réguler la politique numérique ou les freins seront-ils trop nombreux ? Les outils comme le RGPD, le DSA et le DMA seront-ils efficaces et suffisants ? Découvrez les réponses d’Etienne Drouard à ces questions.
[Extrait de l’entretien]
Vous venez de publier une note pour le think tank Renaissance Numérique (Politique numérique de l’UE : l’heure de la cohérence a sonné). Quel est le bilan de l’activité du Parlement européen et de la Commission européenne en matière de politique numérique des cinq dernières années ? Ce bilan a-t-il été prometteur et positif ou des failles et des défauts persistent-ils dans la législation et la politique numériques de l’UE ?
Etienne Drouard : La mandature européenne qui vient de s’achever a été marquée par une succession de réglementations dans la foulée de l’entrée en application du Règlement général sur la protection des données (RGPD) en 2018. Comme nous l’évoquons dans la note, quatre grands secteurs du numérique ont fait l’objet de régulations spécifiques depuis 2020 : les plateformes en ligne et les services d’intermédiation, la stratégie européenne pour les données, l’intelligence artificielle, et la cybersécurité et cyber-résilience.
Concernant les plateformes en ligne, par exemple, le Règlement sur les marchés numériques (Digital Markets Act ou DMA en anglais), adopté en 2022, vise à lutter contre les pratiques anticoncurrentielles des géants du numérique et à corriger les déséquilibres de leur domination sur le marché européen, tout en renforçant la protection des utilisateurs en ligne. De son côté, le Règlement sur les services numériques (Digital Services Act ou DSA en anglais), adopté la même année, décline le principe selon lequel ce qui est illégal hors ligne est illégal en ligne. Il fixe un ensemble de règles pour responsabiliser les plateformes numériques dans la lutte contre la diffusion de contenus illicites ou préjudiciables ou de produits illégaux. Le Data Governance Act, le Data Act, l’AI Act, la Directive NIS 2 et le Cyber Resilience Act complètent ce puzzle législatif dans les trois autres domaines.
Il ne fait aucun doute que chaque pièce du puzzle avait sa raison d’être sectorielle ou systémique. Les motivations légitimes de chaque texte sont bien réelles. Elles sont publiques, elles méritaient d’être soutenues, elles ont été débattues puis arbitrées dans le respect des institutions politiques et de leurs missions profondes. De ce point de vue, le bilan peut paraître prometteur, d’autant plus que certains de ces textes, à l’instar du DMA, du DSA ou de l’AI Act, ont été adoptés en un temps record. Seulement, à quoi sert un cadre législatif s’il ne peut être appliqué, ou difficilement, ou dans cinq ans ? De quelle utilité est-il si les acteurs chargés de le mettre en œuvre ne savent pas comment l’interpréter ? Le problème est que la mandature européenne précédente, en voulant faire vite, n’a pas pensé à l’articulation de ces différents textes entre eux. Afin d’éviter des blocages politiques et institutionnels lors de leur élaboration, la Commission européenne a repoussé à plus tard cet enjeu. Cette absence de coordination est susceptible d’entraîner de nombreux conflits de compétences entre régulateurs anciens et nouveaux, et donc de limiter grandement l’efficacité de textes aux objectifs pourtant louables. […]