Publication 13 juin 2019
A roadmap for a digital society
Au-delà des intérêts économiques, le numérique est devenu un enjeu social et géopolitique majeur. Pour s’imposer dans le nouvel échiquier mondial, les États membres européens ont pris conscience qu’une politique numérique ne peut s’organiser qu’au moyen de l’articulation de l’échelon européen et national. En ce sens, les trois think tanks partenaires insistent sur le rôle déterminant du couple franco-allemand dans la mise en place d’une stratégie numérique européenne commune. En écho, et en guise d’introduction à la journée, Thomas Lenk, Ministre conseiller et Directeur des affaires économiques de l’Ambassade de la République Fédérale d’Allemagne à Paris, considère que “cette réflexion sur la digitalisation de nos sociétés s’inscrit pleinement dans l’esprit de l’article 21 du Traité d’Aix-la-Chapelle signé le 22 janvier 2019. La coopération franco-allemande sur le numérique relève du futur de nos entreprises et de nos sociétés”.
Bien que la dernière mandature du Parlement européen ait marqué une avancée considérable en matière de politique numérique européenne, en posant les bases du marché unique numérique, l’Union européenne peine encore à bâtir une société numérique inclusive.
Ce dernier volet du cycle EU Digital Challenges s’est ainsi intéressé à deux grands enjeux au travers de deux tables rondes : la première, intitulée “A l’ère de l’intelligence artificielle, créer la société numérique de demain”, souligne la nécessité d’accompagner la société pour relever les défis posés par les technologies de rupture ; la seconde “Défendre la démocratie face aux cyber risques”, insiste notamment sur l’importance de développer une politique européenne en mesure d’équiper l’ensemble des acteurs vulnérables face aux cyber risques.
Le dernier événement du cycle était soutenu dans son organisation par Microsoft France, SAP France, l’Institut Goethe de Paris et Contexte et sous le patronage de la représentation de la Commission européenne et du Parlement européen à Paris.
Mariya Gabriel
Commissaire européenne à l’Économie et à la Société numériques
Une politique européenne au service d’une société numérique inclusive
Bien que l’Europe se soit engagée dans la construction d’un marché unique numérique dès 2015, avec la dernière mandature européenne, elle doit encore relever un certain nombre de défis politiques pour faire face aux évolutions induites par les technologies numériques émergentes. Afin de se positionner sur le plan mondial, la nouvelle mandature devra avoir à coeur de porter la double ambition de développer une politique industrielle européenne forte, tout en accompagnant l’ensemble des pans de la société dans cette transition.
Quant à l’opportunité de la construction d’une troisième voie face aux puissances américaine et chinoise, l’Union européenne entend tenir compte de la dimension éthique de ces technologies et ce, dès leur conception (ethics by design). “L’intelligence artificielle (IA) doit être utilisée à bon escient. C’est l’IA qui doit s’adapter à la dimension humaine et non l’inverse” explique ainsi Mariya Gabriel, Commissaire européenne à l’Économie et à la Société numériques. C’est à cette fin que la Commission européenne a créé récemment le groupe d’experts de haut niveau sur l’intelligence artificielle.
Pour Amal Taleb, Directrice Affaires publiques de SAP France, l’Europe a besoin en ce domaine d’un cadre réglementaire souple pour encourager une innovation respectueuse des citoyens. Elle ne doit pas viser la mise en place d’une législation à tout prix, mais réfléchir au déploiement de règles de conduite, communément admises, et à la capacité des personnes et des organisations à se les approprier. “L’approche industrielle permet de développer l’IA au gré des cas d’usage identifiés comme acceptables et utiles” ajoute-telle. La société civile doit être mise en capacité de comprendre pleinement le fonctionnement de ces technologies, pour participer, orienter et adhérer aux décisions gouvernant leur adoption dans le secteur privé et public.
Si elle suscite un certain nombre de questionnements, l’ère numérique est porteuse d’immenses opportunités. À ce titre, les nouvelles technologies pourront faciliter la vie professionnelle et la vie quotidienne des citoyens et des entreprises, à condition d’accompagner les usages. Pour tirer parti des avantages de ces technologies émergentes, il faut donner les moyens à la société européenne de s’adapter au changement et saisir les opportunités permises par le numérique. “Cette révolution industrielle, qui est en voie d’accélération, a des impacts économiques, mais aussi démocratiques et anthropologiques. Nous devons apporter des réponses européennes aux citoyens sur les enjeux à venir” déclare Marc Mossé, Directeur affaires publiques et juridiques de Microsoft Europe.
Marc Mossé
Directeur affaires publiques et juridiques, Microsoft Europe
L’IA bouleverse notamment l’organisation du travail. Max Neufeind, Senior Policy Fellow de Das Progressive Zentrum énonce qu’“il y a un potentiel énorme pour que l’IA rende l’environnement de travail beaucoup plus créatif et pédagogique. La clef, c’est la multiplicité. Il y a aura différentes formes d’intelligence artificielle comme il y a différentes formes d’intelligence humaine”. Il ajoute que l’enjeu majeur de ces prochaines années sera la construction d’un cadre favorable pour accompagner l’interaction homme-machine et le développement des compétences nécessaires pour une collaboration efficace entre travailleurs et agents IA.
Ces réponses passent, en partie, par des formations appropriées en amont et tout au long de la vie professionnelle. À ce titre, Alexis Masse, Secrétaire confédéral à la CFDT en charge du numérique et de la finance responsable, appelle à être attentif à l’accompagnement de cette transformation dans le monde du travail. “Il faut être vigilant dans leur mise en place et penser la manière dont on articule l’organisation du travail et les technologies d’intelligence artificielle. La relation de confiance entre le travailleur et ces technologies est primordiale. Les transformations doivent être choisies et non subies”. Il n’y aura pas de politique de développement durable de l’IA sans transparence et compréhension de celle-ci par tous. Des formations sont nécessaires pour accompagner les travailleurs au gré de l’évolution de leurs métiers.
En ce sens, la culture managériale est un point clef dans la transition digitale d’une entreprise. A titre d’exemple, les méthodes agiles utilisées dans les start-ups autour du “test and learn” et “crash and learn” sont d’excellents moyens d’impulser de l’innovation dans les entreprises.
Il faut également former dès aujourd’hui les étudiants à travailler dans un environnement professionnel où l’IA sera prédominante. L’objectif : augmenter les compétences sociales des futurs travailleurs (travail en équipe pluridisciplinaire, intelligence collective) et situationnelles (autonomie, adaptabilité).
Toutefois, si ces technologies sont pleines de promesses pour l’avenir, il convient d’être également vigilant sur les nouveaux risques qu’elles peuvent induire. “Nous sommes en pleine période d’euphorie car les gens commencent à comprendre le potentiel de l’IA, notamment en termes d’accès au savoir. Nous devons cependant avoir conscience de ses éventuels aspects négatifs et y remédier” explique Philipp Sälhoff, Directeur général de Polisphere. En matière d’intelligence artificielle, une attention doit notamment être portée aux possibles biais cognitifs induits par certains jeux de données qui peuvent renforcer des discriminations, telles que le profilage raciale.
Afin de remédier à ces défis, l’Europe doit développer une régulation qui sache concilier le respect des valeurs fondamentales européennes et l’innovation. A ce titre, Max Neufeind, souligne que “l’Europe est pleine de désordre créatif. C’est notre richesse sociétale. Il faut capitaliser dessus”. Il faut, dès aujourd’hui, penser à des standards d’entrée sur le marché européen qui allient ces valeurs. Pour répondre à ces attentes, l’Union européenne devra développer un cadre juridique adapté. “Dans des systèmes qui apprennent par eux-mêmes, il faudra instaurer des mécanismes de contrôle et d’amélioration permanents pilotés par l’humain” ajoute Max Neufeind. “Cette innovation respectueuse du citoyen s’articulera autour de l’open innovation, de l’open source, de la transparence des algorithmes et de la création de communs” explique de son côté Amandine Crambes, Candidate Europe Ecologie Les Verts dans le cadre de la campagne européenne.
Protéger la démocratie européenne à l’ère numérique
À l’heure où la problématique de la cybersécurité n’a jamais été aussi vive, l’Union européenne peine à mettre en place une feuille de route commune en faveur de la cyberpaix. Si cette problématique revêt un enjeu économique majeur, elle revêt également une dimension sociétale forte en termes de confiance, dans la transformation numérique de notre société.
Au-delà des enjeux économiques, le numérique est devenu un enjeu géopolitique majeur. “Il y a toujours un agenda politique derrière la technologie. Aujourd’hui, les technologies européennes, chinoises, russes et américaines s’affrontent sur l’échiquier mondial ” explique Diana Filippova, Fondatrice de Stroïka et membre de Place Publique. Selon elle, les états ne sont pas les seuls acteurs dans la course de la souveraineté numérique. Les entreprises numériques jouent également un rôle essentiel dans cette course qui questionne la répartition classique des rôles entre les acteurs publics et privés. En effet, “les plateformes en ligne sont aujourd’hui aussi puissantes voire plus puissantes que les états” ajoute Diana Filippova. Aujourd’hui, pour mettre en place une politique de cyber paix efficace, “il faut mobiliser l’ensemble des parties prenantes du numérique” déclare Alberto di Felice, Conseiller infrastructure, vie privée et sécurité pour Digital Europe. A titre d’exemple, “la mise en oeuvre du cadre européen de certification de sécurité ne peut se faire sans une concertation renforcée avec les entreprises” ajoute-t-il.
Les représentants étatiques prennent conscience des conséquences de ces attaques mais ont encore des difficultés à les anticiper. L’échelon national n’est plus suffisant pour lutter contre ces risques, par nature transfrontaliers. Il convient de développer des programmes européens pour renforcer la cybersécurité, partager les bonnes pratiques et accompagner les pays européens les plus démunis en terme d’expertise. “Nous avons mis en place des structures au niveau européen comme l’ENISA, mais il faut que les états membres et l’Union européenne collaborent davantage sur ce sujet” rappelle André Gattolin, Sénateur La République en Marche.
André Gattolin
Sénateur, La République en Marche
Bien que la cybersécurité figure comme une priorité politique, il n’est pas toujours évident d’appréhender l’étendue d’une telle menace. Pour ce faire, l’Union européenne et les Etats Membres ne peuvent pas se contenter d’équiper les grandes entreprises face à ces risques. Ils doivent porter une attention particulière aux acteurs vulnérables tels que les TPE-PME et les citoyens qui se voient également confrontés à cette problématique. Dans ce cadre, Alberto di Felice, invite les représentants politiques à s’interroger : “de quoi avons-nous besoin, nous citoyens, pour nous protéger contre ces cyber risques ?”
Au-delà de l’enjeu sécuritaire, il est essentiel de préserver l’équilibre entre les libertés fondamentales qui sont en jeu. À titre d’exemple, en ce qui concerne la polarisation du discours politique et de l’information en ligne, Elodie Vialle, Responsable du Bureau Journalisme et Technologies de Reporters sans Frontières, qui travaille sur des standards de régulation des contenus journalistiques en ligne, souligne qu’il “faut veiller à trouver le bon équilibre entre la liberté d’information et la lutte contre le contenu haineux .” En ce sens, la mise en oeuvre récemment des législations contre les fausses informations peut tendre à la censure, comme en témoigne également la mise en place du Network Enforcement Act en Allemagne, qui conduit au filtrage de tout contenu qui pourrait être litigieux mais qui ne l’est pas forcément.
Dans ce contexte, Reporters sans Frontières a créé en 2018 la Journalism Trust Initiative, qui réunit l’Agence France-Presse (AFP), l’Union européenne de radiotélévision (UER) et le Global Editors Network (GEN). Elle vise à définir des standards journalistiques pour hiérarchiser l’information, garantir son pluralisme et lutter contre les fausses informations. Elodie Vialle souligne également l’importance de veiller à ce que les plateformes en ligne participe à cette démarche de co-régulation.
Programmes de coopération de lutte contre les cybermenaces, lutte contre la désinformation, protection des données personnelles : l’Europe doit être en mesure de protéger les démocraties contre les nouveaux risques liés au numérique. Cependant, l’Europe numérique forte n’est pas possible sans l’intégration des citoyens.
Vers une citoyenneté numérique européenne
Les trois think tanks Das Progressive Zentrum, EuropaNova et Renaissance Numérique, publient un appel pour une citoyenneté numérique européenne ambitieuse autour de 15 principes clefs. À travers ces principes, ils militent en faveur d’une démocratie numérique renforcée en Europe.
Ces principes ont vocation à donner aux politiques les moyens pour exploiter le numérique comme un levier de démocratie. À ce titre, Denis Simonneau, Président d’EuropaNova, souligne notamment l’importance d’une politique numérique européenne pour lutter contre le défi majeur de cette transition : la fracture numérique. Sophie Pornschlegel, Directrice du Democracy Lab de Das Progressive Zentrum, énonce trois points essentiels pour répondre efficacement à ce besoin pressant : “agir au niveau européen, éduquer les politiques sur cette thématique et sensibiliser les citoyens à leurs droits de manière équitable”.
Les institutions européennes et les états membres doivent prendre conscience que “l’Europe numérique ne se fera pas sans ses citoyens” déclare Henri Isaac, Président de Renaissance Numérique, et qu’il “faut sensibiliser les citoyens à l’exercice de leurs droits, qui dépassent les questions strictement économiques” ajoute-t-il.
Le numérique est également un formidable outil pour remettre la transparence et la participation citoyenne au cœur du débat politique européen. Paula Forteza, Députée de La République En Marche, rappelle notamment l’enjeu démocratique de la régulation des contenus en ligne. Dans ce cadre, elle propose d’ajouter une “16ème” proposition à l’appel des think tanks, visant à donner à l’utilisateur un pouvoir d’agir dans la régulation. Elle ajoute qu’il est essentiel que “les citoyens comprennent leurs marges de manoeuvre et leur pouvoir d’actions. Les approches communautaires comme le fact-checking, les signalements ou la définition de standards communs sont des réponses citoyennes pertinentes”. Un bel exemple : les “elfes” lituaniens, qui utilisent les mêmes techniques que les trolls mais, au service du fact checking. “Nous avons également besoin de l’écosystème des civic techs pour stimuler le débat citoyen en ligne” ajoute-t-elle.
Pour conclure ces débats, Maximilian Strotmann, Conseiller auprès du Vice-président de la Commission européenne chargé du Marché unique numérique, Andrus Ansip, insiste “être profondément convaincu que nous pouvons développer une société numérique plus inclusive et transparente. L’Europe a les talents, la créativité, les capacités industrielles et les structures politiques adéquates. Nous avons posé le cadre numérique européen. Maintenant il faut le remplir de citoyenneté et de vie quotidienne.”
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