Actualité 26 mars 2014

Pour une gouvernance démocratique de l’Internet

AUTEURS

  • Guillaume Buffet, Président de Renaissance Numérique

  • Godefroy Jordan, Président de Starting Dot

  • Jean-Claude Michot, Président de la Fondation Free

Longtemps ignorée ou considérée comme un sujet d'experts, la gouvernance de l'Internet s'est installée depuis quelques mois au coeur du débat public. Nous ne pouvons que nous en réjouir, à l'heure où les usages explosent sous le double effet de l'essor de l'Internet mobile et du flux croissant de nouveaux internautes provenant des pays émergents. Une tribune de Guillaume Buffet, Godefroy Jordan et Jean-Claude Michot, parue dans le journal Les Echos le 14 mars 2014

Cet engouement récent est aussi le fruit d’une série incroyable de scandales et autres dysfonctionnements qui mettent à mal la confiance du public dans l’ensemble de l’édifice Internet. C’est dans ce contexte que l’opinion prend peu à peu conscience de la fracture de plus en plus large entre l’écosystème numérique, organisé et intégré mondialement, et nos cadres institutionnels nationaux.

Au plan mondial, la tutelle historique de l’Internet par les Etats-Unis est également mise en cause, notamment par l’Europe et les pays émergents. Cette tutelle sera à l’ordre du jour de la réunion multipartite mondiale sur l’avenir de la gouvernance de l’Internet, organisée en avril prochain à São Paulo, et à laquelle la France participera. Après le temps du questionnement, parfois de l’indignation, la nouvelle séquence de concertation et de débat qui s’ouvre s’avère essentielle pour l’avenir de l’Internet et, par rebond, des sociétés démocratiques.

« Aucun individu, personne, entreprise, organisation, gouvernement unique ne dirige Internet », affirme l’Internet Corporation for Assigned Names and Numbers (Icann), pivot de la dizaine d’organisations à but non lucratif qui coordonnent le pilotage de l’infrastructure Internet. L’Icann peut être prise au mot : sa mission est avant tout opérationnelle et centrée sur la mise au point de standards techniques pérennes, universels et ouverts.

Quant à la critique récurrente du rôle des Etats-Unis dans la gouvernance d’Internet, rappelons qu’il est d’abord une invention américaine et le produit dérivé d’une infrastructure militaire née outre-Atlantique. On ne pourra pas réécrire ce point de départ historique. Reconnaissons aussi que le gouvernement américain a progressivement relâché sa tutelle, et que la récente annonce de la Commission européenne, recommandant de transformer l’Icann en véritable organisation internationale indépendante, va dans le bon sens. Indépendance vis-à-vis des Etats-Unis, comme des Etats-nations : cette « troisième voie » nous semble la bonne.

Au-delà de ces questions de tutelle, nous sommes persuadés que l’axe majeur de progression pour la gouvernance de l’Internet porte sur l’évolution de ses processus démocratiques. En premier lieu, les acteurs participant à l’élaboration des consensus dans les instances de gouvernance de l’Internet ne sont pas assez représentatifs. Prenons l’exemple de la « business constituency » de l’Icann, censée représenter les entreprises. Ce groupe réunit cinquante-trois organisations et multinationales, dont quarante américaines : sa représentativité est clairement trop faible. En second lieu, les instances exécutives de l’Icann ne proposent aucun mécanisme officiel de vote des membres de la communauté. Pour caricaturer, l’Icann c’est le Conseil de sécurité de l’ONU sans l’assemblée générale.

« La technicité des débats autour de l’Internet génère une barrière freinant l’implication de la société civile. Un autre enjeu majeur est donc de réussir, d’une part, à vulgariser et simplifier le sujet pour en débattre d’une manière simple et, d’autre part, de faire progresser rapidement la « culture générale numérique » de nos dirigeants afin de leur donner les moyens de participer à ces débats. »

L’Internet, qui réunit déjà 2,5 milliards d’utilisateurs, est dirigé par des experts qui en ont fait un outil extraordinaire au service de l’humanité et des démocraties. Ces techno-dirigeants ont des responsabilités croissantes, par-delà les questions technologiques : il convient donc de les sortir de l’isolement en participant plus nombreux aux débats et en nous engageant dans les instances. Ainsi, nous ferons émerger une nouvelle citoyenneté numérique ; nous réussirons à construire une gouvernance de l’Internet plus ouverte et plus démocratique ; enfin, nous réussirons à rétablir un environnement de confiance, essentiel à l’Internet, mais plus encore à nos sociétés démocratiques.


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