Actualité 19 décembre 2013
Libertés fondamentales à l’ère du numérique, d’un échec à une mobilisation grandissante
Comment expliquer cet échec ?
L’explication essentielle vient évidemment du manque total de compréhension des sujets numériques par nos parlementaires – mais s’ait-il bien ici de numérique ? Une fois encore, « internet » est pour eux un « espace de non droit » peuplé de « sauvageons » qu’il convient de mettre au pas. Surveillance ? Tant mieux ! Sujet suivant. Laissent comprendre beaucoup d’entre eux. Je l’ai entendu, comme vous, de la part de certains élus ou de leurs collaborateurs. Quel que soit leur bord. Nous y reviendrons.
Cet échec s’explique ensuite par des calculs politiciens incompréhensibles pour les citoyens « lambda » que nous sommes. Les « consignes de groupe » et l’allégeance du législatif à l’exécutif ont entraîné le silence assourdissant des députés PS sur un sujet qui leur tient pourtant à cœur. Les luttes de pouvoir à l’intérieur de familles politiques ont ensuite tenu leur place, la démarche de Xavier Bertrand en faveur de la saisine étant perçue à l’UMP comme une attaque contre Christian Jacob, avec les conséquences que l’on imagine sur la mobilisation des élus. Il semblerait enfin qu’un manque de mobilisation certain ait été observé chez les Ecologistes et le Front de Gauche, qui n’ont sans doute pas voulu servir de force d’appui à une UMP qui annonçait publiquement qu’elle ne souhaitait pas s’associer à eux. Le tout sur un sujet que nombre d’entre eux maitrisaient mal.
Des calculs incompréhensibles pour le citoyen
Pour nous, citoyens « sans étiquettes » mobilisés en faveur de cette saisine, pour nous qui nous sommes jetés à corps perdu dans cette « bataille », pour toutes les associations de défense des droits, cette priorité donnée aux calculs et positions partisanes est incompréhensible. Choquante. Elle est évidemment terriblement décevante, alors même que nous avons déployé toute l’énergie qui était en notre pouvoir pour aboutir à cette mobilisation. Echouer, si près du but risque d’entraîner un contrecoup terrible pour ceux qui ont cru dans ce mouvement, dans ce rapprochement entre élus et citoyens. Aurions nous été bernés, doivent se demander partout en France ceux qui ont tout fait pour « que ça bouge ».
Une victoire malgré tout ?
Non cette mobilisation n’est pas un échec affirment les parlementaires – ou certains d’entre eux. Car le travail extraordinaire (c’est eux qui le disent) que nous avons réalisé servira dans le futur.
Il est vrai que nous avons fait progresser à pas de géants (!) la compréhension des enjeux liés au numérique par un nombre enfin plus important de députés que la poignée identifiée depuis plusieurs années… Il faut dire que l’on part de loin. Mais ce « groupe des 48 » – augmenté sans doute de quelques parlementaires muselés ces derniers jours – a compris que le numérique était un pilier de la démocratie. C’est une avancée majeure.
Oui ce travail servira car maintenant que le texte de loi est inscrit au Journal officiel, certains s’engagent solennellement à déposer dans la foulée une Proposition de Loi visant à réécrire cet ex-article 13 (maintenant article 20). Qu’ils s’engagent à faire en sorte que les discussions autour de ce texte ne soient pas monopolisées par un bord ou l’autre, qu’elles dépassent les clivages. Qu’ils engagent enfin à tout mettre en œuvre pour que cela soit fait dans les prochains jours. Et que nous aurons les moyens de nous faire entendre, j’y reviens plus loin.
J’ajouterais que cette mobilisation a aussi été le moyen de démontrer une fois encore que, contrairement à ce que laissent croire les politiques, la révolution numérique permet de vraies engagements en faveur de valeurs fortes liées aux fondamentaux de nos démocraties. Qu’elle prouve que, non, tous les citoyens ne sont pas haineux envers « la politique » et que près de 80 000 d’entre eux ont démontré leur capacité de mobilisation. Leur capacité à se plonger dans des textes pas immédiats. A comprendre le fonctionnement de nos institutions républicaines.
Ensemble nous avons prouvé, d’une façon brillante, que le numérique était un merveilleux outil démocratique. Bien loin de ce nid à terroristes, proxénètes, harceleurs, et que sais-je encore que chaque nouveau texte de loi prend un malin plaisir à caricaturer.Bref, ce mouvement est la preuve que le numérique rapproche élus et citoyens. Qu’au moins 80 000 d’entre eux souhaitent s’impliquer dans la « cité ».
La suite… un nouveau texte ?
Si le vote du parlement est souverain. Nous devons, nous pouvons rester mobilisés. Car nous avons encore les moyens de lutter, grâce à cet engagement en faveur d’une proposition de loi (PPL) et malgré la déception de ne jamais pouvoir connaître l’avis souverain du Conseil Constitutionnel sur ce texte liberticide. Ne lâchons rien, car le contenu de cette proposition de loi devra être examiné de près.
Oui, la lutte contre le terrorisme est clef. Oui, se doter de moyens pour y arriver de façon rapide et efficace est essentiel. Mais, pas à n’importe quel prix. Il s’agira donc, notamment de préciser quels sont les contenus accessibles par l’administration de surveillance, de fixer une limite de temps de détention et d’accès à ces données, de définir plus précisément les motifs de surveillance d’un individu, d’encadrer la procédure par le regard d’une autorité indépendante a priori, de définir clairement quels sont les services habilités à opérer cette surveillance, etc.
Nous avons déjà commencé à travailler à ces sujets, à l’origine pour l’argumentaire à délivrer au Conseil Constitutionnel. Nous allons donc prolonger ce travail avec ceux qui souhaitent se joindre à nous. Nous ferons en sorte de peser sur les débats. Avec toujours à l’esprit cet engagement en faveur de la défense des libertés à l’heure du numérique.
Message aux parlementaires…
Ce que nous avons vécu ces deux dernières semaines et aussi l’occasion de repenser cette phrase « nul n’est sensé ignorer la loi ». Cette phrase que l’on nous assène bien souvent en cas de manquement. Les 80 000 engagés en faveur de la saisine ont démontré qu’ils étaient désireux de mieux la connaître, cette loi. Quitte à y passer du temps, à se former, à se documenter. Et ce malgré la morgue ce ces élus qui annoncent qu’elle est l’affaire de spécialistes. De ces élus qui nous interdisent par là-même, à nous citoyens, à nous « utilisateurs du web » comme nous appelle avec mépris M. Sueur… de connaître la loi. Monsieur le Sénateur, à l’ère du numérique, oui, nul n’est sensé ignorer la loi. Si vous en interdisez l’accès, sous prétexte « d’expertise requise » aux 80% de vos compatriotes – de vos électeurs en fait –que sont les « utilisateurs du web » ne vous étonnez pas que certains finissent par lui tourner le dos.
Merci à tous !
Alors, oui, faisons en sorte qu’à l’ère du numérique, nous, citoyens, puissions mieux participer aux travaux législatifs en apportant notre point de vue, notre contribution. Faisons en sorte aussi, à l’ère de l’open data, que ces textes soient plus accessibles pour éviter les censées fausses interprétations. Faisons en sorte de mieux savoir, de mieux faire connaître chaque jour ce qu’ont voté chacun de nos élus. Pour les mettre en face de leurs responsabilités. Pour que la seule opinion d’élu ne soit plus celle de « la majorité » ou de « l’opposition », ou celle d’un « groupe parlementaire » qui interdit à ses membres de penser par eux-mêmes. Exigeons que nos élus soient redevables de leurs décisions devant le peuple Français, un peu plus souvent que tous les 5 ans.
A ces conditions, oui cette mobilisation sera une victoire. C’est certain. Merci donc à tous ceux qui ont commencé à faire bouger les lignes. Merci à vous qui n’avez pas compté votre temps, votre énergie. Hauts les cœurs.
Ne lâchons rien. Continuons à défendre bec et ongles les libertés fondamentales ciment de notre société française.
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Actualité 5 décembre 2013