Actualité 23 juin 2014

Gouvernance de l’Internet : comment améliorer la responsabilité de l’ICANN ?

Alors que l’ICANN ouvre une consultation publique pour la réforme de sa gouvernance, Renaissance Numérique saisit cette opportunité pour appeler à un véritable tournant démocratique au sein de cette institution et propose 4 pistes concrètes de réforme.

Renaissance Numérique se réjouit de la volonté du gouvernement américain de réformer la gouvernance de l’ICANN pour en faire une organisation internationale ouverte et indépendante, conformément aux grands principes fondateurs de l’Internet.  Le think tank tient à saluer la démarche consultative de l’ICANN, qui s’oriente vers davantage de dialogue et de collaboration avec l’ensemble des acteurs de la société numérique. Cette évolution vers un fonctionnement plus démocratique constitue un progrès majeur dans la gouvernance de l’Internet.

Une constitution contestable du groupe de travail

Renaissance Numérique s’interroge néanmoins sur l’impact effectif qu’aura cette consultation et sur le réalisme de la promesse démocratique faite par l’ICANN. Un processus de concertation et de décision transparent ne garantit en rien la prise en compte effective de la participation de la communauté au changement. Il nous semble important de souligner que la consultation publique ne mènera qu’à une proposition du groupe de travail que le Conseil d’Administration de l’ICANN est en mesure de refuser ou d’accepter.

“Le groupe de travail sur la responsabilité de l’ICANN soumettra son rapport final au Conseil de l’ICANN. Le Conseil devra publier immédiatement le rapport final, envisager la possibilité d’adopter la totalité ou des parties dudit rapport, et d’instruire le Président-directeur général pour mettre en œuvre les parties acceptées une fois que la décision aura été prise.”

Nous regrettons qu’alors même que cette consultation porte sur la responsabilité de l’ICANN, aucun mécanisme de recours ou d’appel ne soit décrit dans le document de cadrage. Cet aspect en lui seul va à l’encontre de la définition « d’accountability », ou responsabilité, établie lors du sommet NETmundial “Mechanisms for independent checks and balances as well as for review and redress should exist”.

Par ailleurs, si le think tank reconnaît la nécessité de constituer un groupe de travail pour aborder des sujets soulevés autour de la responsabilité́ de l’ICANN, nous souhaitons néanmoins émettre de vives réserves quant à la constitution de ce groupe de travail. Nous regrettons en effet que celle-ci repose sur un principe de désignation et non de vote démocratique au sein des « constituencies ». Les membres qui constituent le groupe de travail sont désignés au cours d’un processus trop peu transparent, là encore dans une logique top-down et non bottom-up. Le processus est d’autant moins légitime que les seuls participants externes au groupe de travail seront eux désignés par le staff de l’ICANN.

“Les leaders des organisations de soutien et des comités consultatifs de l’ICANN seront responsables de la nomination des membres de la communauté pour le groupe de travail. “

Un débat trop restreint

Il nous semble qu’un débat d’une telle importance devrait être ouvert à l’ensemble des acteurs et de la société civile et non pas traité uniquement au sein de la communauté de l’ICANN. Il est regrettable d’ouvrir la discussions dans des forums sur des questions aussi techniques que la transition de l’intendance des fonctions IANA pour finalement restreindre le débat à la communauté de l’ICANN sur un sujet aussi essentiel que la responsabilité de l’organisation.
Dans le cadre d’un débat restreint, il nous apparaît essentiel de rendre les modalités de discussion plus démocratiques au sein même de l’ICANN, par l’établissement d’une représentativité plus large des différents acteurs et par des processus de décision basés sur le vote par exemple.

Il ne s’agit là que de respecter les principes mêmes établis lors de NETmundial, en faveur d’un débat “inclusif et équitable, distribué et collaboratif”.

Réponses aux questions

  • Quels devraient être les principes directeurs à établir pour s’assurer que la notion de responsabilité soit comprise et acceptée au niveau mondial ? Quelles conséquences devrait-on prévoir au cas où l’ICANN ne rendrait pas de comptes à la communauté ? Y a-t-il des éléments à ajouter au mandat du groupe de travail ?

Pour Renaissance Numérique il est essentiel que les principes directeurs en terme de responsabilité soient alignés sur les principes établis lors du Sommet NETMundial par les acteurs du numérique. C’est la condition sine qua none pour que la responsabilité de l’ICANN soit acceptée au niveau mondial.

Rappelons que les principes de gouvernance d’Internet établis lors de NETMundial sont les suivants :

  • Le multipartisme (« multi-stakeholder »)
  • L’ouverture, la participation et la recherche de consensus (« open, participative, consensus driven governance »)
  • La transparence-
  • La responsabilité (« accountability »)-
  • L’inclusion-    La décentralisation (« distribution »)-
  • La collaboration-
  • L’accessibilité et la réduction des barrières à l’entrée (« access and low barriers »)-
  • La souplesse (agility)

Ce n’est qu’une fois que ces principes seront respectés et intégrés dans le règlement de l’ICANN qu’une relation de confiance pourra s’établir avec les acteurs du numérique et ceux de la société civile.

  • L’affirmation d’engagements et les valeurs qui y sont énoncées devraient-elles évoluer pour contribuer à l’acceptation mondiale de la responsabilité de l’ICANN ? De quelle manière ?

L’affirmation d’engagements de l’ICANN constitue en soi une base solide sur laquelle s’appuyer pour construire une institution responsable. La première condition à l’acceptation mondiale de la responsabilité de l’ICANN sera donc un respect absolu et un renforcement des engagements pris dans ce texte.Le think tank salue ainsi les efforts réalisés récemment en ce sens par l’organisation en rendant par exemple plus accessible son site internet qui propose désormais une version multilingue dès la page d’accueil. Cette évolution en elle-même constitue un progrès majeur en termes de transparence et d’accessibilité du propos de l’organisation.
De même, la décision de rendre un rapport annuel est à saluer. Elle apporte intelligibilité et clarté à l’action de l’ICANN, encore trop peu connue et comprise de la société civile.

  • Y a-t-il d’autres mécanismes pour mieux s’assurer que l’ICANN tienne ses engagements ?

Nous sommes persuadés que l’axe majeur de progression pour la gouvernance de l’Internet porte sur l’évolution des processus démocratiques au sein de l’ICANN. Une réforme des processus de décisions et des moyens de recours de l’ICANN est selon nous indispensable à la responsabilité de l’organisation.


Les propositions de Renaissance Numérique

Idée 1 : Renforcer la représentativité et la légitimité des parties prenantes

Les acteurs participant à l’élaboration des consensus dans les instances de gouvernance de l’Internet ne sont pas assez représentatifs. Or, il est indispensable de renforcer cette représentativité si l’on veut garantir la légitimité des « constituencies ». Prenons l’exemple de la « business constituency » de l’Icann, censée représenter les entreprises. Ce groupe réunit cinquante-trois organisations et multinationales, dont quarante américaines : sa représentativité est clairement trop faible.  Par ailleurs, il n’y a pas d’associations de syndicats au sein de l’ICANN, il serait ainsi plus judicieux d’intégrer des « Trade-Union constituencies ».

Idée 2 : Mettre en place une assemblée générale

Pour renforcer les mécanismes de recours au sein de l’ICANN, il nous semble indispensable de donner davantage de pouvoir à l’ombudsman (le
Les instances exécutives de l’ICANN ne proposent aucun mécanisme officiel d’élection des membres de la communauté. Ainsi, l’ICANN pourrait être comparé au Conseil de sécurité de l’ONU. Indispensable au fonctionnement démocratique d’une institution, il serait donc pertinent de mettre en place une assemblée générale lors de laquelle aurait lieu un vote de confiance vis à vis du conseil d’administration. Celle-ci pourrait se tenir une fois par an durant l’une des grandes réunions de l’ICANN : au-delà de 80% de défiance, le conseil d’administration serait dissous.

Idée 3 : Donner au médiateur davantage de pouvoir pour agir

Pour renforcer les mécanismes de recours au sein de l’ICANN, il nous semble indispensable de donner davantage de pouvoir à l’ombudsman (le médiateur). C’est une condition indispensable au renforcement de l’ « accountability » de l’ICANN.Tant qu’il ne sera pas donné au médiateur les moyens d’agir et de répondre aux plaintes, l’ICANN ne pourra pas être considérée comme responsables auprès des membres de sa propre communauté.

Idée 4 : La séparation des pouvoirs, un principe inaliénable

Il doit exister au sein de l’ICANN une véritable séparation des pouvoirs. A l’heure actuelle, les trois pouvoirs, exécutifs, judiciaires et législatifs sont concentrés au sein du conseil d’administration. Il serait bon de créer une véritable instance judiciaire, une cour suprême ayant le pouvoir de statuer sur les plaintes venant des « constituencies » afin de renforcer la responsabilité de l’ICANN. Le processus de prise de décision doit lui aussi être revu : nous appelons ainsi à la mise place de mécanismes de vote en lieu et place du recours systématique au consensus approximatif (« rough consensus »).


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