Publication 30 janvier 2018

Le monde du travail en mutation à l’ère du numérique, avec Patrice Flichy

Sociologue et professeur à l’université de Paris Est-Marne-la-Vallée

Patrice Flichy, sociologue et professeur à l’université de Paris Est-Marne-la-Vallée, était l’invité de la 21e édition d’Aux Sources du Numérique (ASDN), co-organisée par Renaissance Numérique et Spintank. L’occasion de revenir avec lui sur les mutations à l’œuvre dans le monde du travail à l’ère numérique.

Uber, Airbnb et autres Etsy, ces plateformes de désintermédiation vont-elles tuer le travail ? Mais de quel travail parle-t-on au juste ? Que partagent un amateur d’origami revendant ses créations sur Etsy et un chauffeur de VTC à temps plein ? Le numérique brouille le concept même de travail, remettant en cause des repères jusque-là immuables : la division travail/vie privée, l’entreprise comme lieu unique du travail rémunérateur, etc.

Parallèlement, les individus cherchent à travailler de façon plus autonome, décentralisée, en lien avec leurs passions, tandis que les outils numériques ouvrent de nouvelles opportunités de formation hors de l’entreprise. Autant de mouvements que Patrice Flichy explore dans son ouvrage (Seuil, 2017). Alors, faut-il se libérer du travail ou libérer le travail ? Rencontre.

La précarisation de l’emploi est-elle incontournable à l’ère numérique ?

Le numérique a, sans doute, favorisé le travail précaire, mais cette précarisation est liée à bien d’autres facteurs : la mondialisation, la financiarisation de l’économie, le chômage endémique… Par ailleurs, on voit apparaître une revendication forte des travailleurs pour plus d’autonomie. Le salariat ne disparaît pas pour autant. Depuis 1945, le salariat a augmenté constamment, il stagne actuellement mais ne recule pas.

Si le travail indépendant devient plus attractif et plus facile d’accès grâce à statut de micro-entrepreneur et aux plateformes numériques, il y a néanmoins un vrai risque de précarisation de ces travailleurs. Il faut donc définir un nouveau contrat social qui leur permette d’obtenir les mêmes droits que les salariés, sans pour autant menacer l’autonomie professionnelle à laquelle ils aspirent.

Sur quelles bases définir ce nouveau contrat social ?

L’élaboration de ce nouveau contrat social ne peut pas être assuré uniquement par la puissance publique. Ces nouvelles activités de plateforme se déroulent souvent aux marges de professions trop fermées. Ce nouveau contrat social doit donc être négocié avec les représentants des travailleurs indépendants. Mettre en place des organisations représentatives des travailleurs indépendants pour entamer le dialogue est ainsi crucial.

Cependant, la négociation sera plus dure à faire admettre aux plateformes. Les rapports de force sont en effet encore plus déséquilibrés que dans l’entreprise classique. Ces plateformes sont pour beaucoup des géants internationaux qui peuvent, par exemple, sans la moindre négociation, modifier les conditions de rémunération des travailleurs.

À quel niveau mener les négociations avec des entreprises de ce type ?

La négociation avec les puissances publiques ne pourra se faire qu’au niveau européen, du fait de la puissance des plateformes en question. De même au niveau syndical, seuls des syndicats européens seraient capables de négocier d’égal à égal avec des plateformes comme Uber.

Les algorithmes et règles de fonctionnement des plateformes sont de véritables boîtes noires. Comment négocier dans ces conditions ?

Le point clé sera d’arriver à une certaine forme de transparence sur les mécanismes d’appariement et les algorithmes. C’est une revendication forte, les syndicats italiens parlent par exemple d’une .

Quels points saillants de négociation identifiez-vous ?

Il faut distinguer plusieurs formes de travail numérique, chacune d’entre elles posant des questions différentes :

  • Les travailleurs cognitifs (informaticiens, créatifs, etc.) souhaitent obtenir des droits sociaux comme le congé maternité, mais aussi des frontières plus claires entre vie professionnelle et privée, une meilleure gestion du stress et du temps de travail…
  • Pour les travailleurs du clic, il faudrait que les règles sur le salaire minimum commencent par être prises en compte, ce qui est difficile dans une économie mondialisée.
  • Enfin, dans les situations intermédiaires comme celle des chauffeurs de VTC, la question de l’encadrement de leurs rapports avec les plateformes se pose : droit à la transparence des algorithmes, changements tarifaires négociés, etc.

Pour vivre ou revivre cette discussion, retrouvez l’intégralité de la rencontre dans ce podcast.