Publication 4 juillet 2017
Pouvoir des algorithmes, avec Dominique Cardon
Analyste reconnu des pratiques de l’internet, le chercheur se livre dans cet ouvrage à une analyse sociologique du pouvoir des algorithmes. Euphorie du big data, recrutement de data-scientists à tout va, discours prophétiques ou condamnations en bloc… Dominique Cardon s’écarte de tout discours passionné et évite de s’engouffrer dans un effet de mode ou d’une critique trop facile. Ni pessimiste, ni optimiste, c’est avec un regard à la fois scientifique et analytique qu’il aborde la question.
La science des algorithmes est difficile à saisir et à appréhender et c’est bien là ce qu’il pointe aussi du doigt. L’enjeu est effectivement de taille à un moment de l’histoire d’internet où les services explosent et où le marché publicitaire tente d’avoir sa part du gâteau.
4 grandes familles d’algorithmes
Adepte des classifications des pratiques du web, Cardon réintroduit les 4 grandes catégories d’algorithmes qu’il identifie dans son ouvrage :
- La popularité (Médiamétrie, Google Analytics…)
- L’autorité (PageRank, Wikipédia…)
- La réputation (Nombre d’amis Facebook, Retweets…)
- La prédiction (Recommandations Amazon, publicité comportementale…)
Chaque famille vient pour mieux s’opposer à la précédente, chaque famille forme un monde. Ces mondes adoptent une forme politique et c’est parce qu’ils façonnent notre environnement qu’il faut les appréhender d’un point de vue politique et sociologique. En somme, les algorithmes s’inscrivent dans le sens de l’histoire. Pour Cardon, l’humain s’est construit par les technologies cognitives (imprimerie, téléphone…) et l’algorithme en est le plus récent exemple. Inutile donc de s’engager dans un combat contre leur omnipotence. Ils nous sont utiles car selon lui, ils donnent aux curieux plus d’instruments d’empowerment ; mais peuvent également enfermer davantage. Les algorithmes sont des instruments de découverte. S’ils peuvent nous aliéner, ils ne nous exploitent pas pour autant.
Rationaliser notre manière d’être
Outil d’empowerment, les algorithmes ont aussi tendance à réduire le champ des possibles. Afin de répondre aux intérêts des plateformes, leur réglage est toujours lié à la performance. Ils rationalisent notre mode de consommation et écartent toute fantaisie, toute réponse moins efficace, mais peut-être plus poétique ! C’est d’ailleurs tout le problème de l’analyse des données : réussir à déterminer ce qui ressort de l’intention réelle, sortir du déterminisme. Au contraire, ils se fient à ce que nous consommons et utilisons effectivement. La critique que Cardon leur adresse réside dans cette sur-rationalité : « Les algorithmes nous réduisent à la trace la plus utile de nos comportements, or nous ne sommes pas la somme de nos régularités ». Il nous arrive effectivement de décider sur un coup de tête de nous rendre à vélo au Tank alors que nous étions venus en Harley le jour précédent !
Pour politiser l’algorithme
Enfin, Dominique Cardon s’inscrit en faveur d’une autre manière d’appréhender les algorithmes, du point de vue de l’utilisateur. C’est ce projet qui pourra selon lui amener la fantaisie qu’il regrette tant. Et il ne faut pas en avoir peur ! Après tout l’Etat lui-même s’est construit à partir de la statistique sociale. On ne sort jamais vraiment d’un environnement calculé ; et de rappeler que nous sommes dans un mode de gouvernance qui produit des libertés.
Est-ce alors là le vrai rêve des algorithmes ? Nous rendre plus libres ? Ou bien sont-ils des projets maléfiques qui visent à nous manipuler ? Au vu des difficultés actuelles du marché de la publicité en ligne, on opterait plutôt pour une option à mi-chemin : ils nous fournissent le cadre de l’exercice de notre liberté, ils nous simplifient la vie mais en rationalisant (trop ?) nos comportements, à tel point que parfois, la part du sensible est annihilée : Cardon rêve d’un Google Maps qui nous ne donne pas seulement le trajet le plus court, mais un choix avec le plus beau, le plus sportif, le plus long… Bref, un Google Maps poétique !
Dominique Cardon,
Sociologue
Et si c’était cela le vrai rêve des algorithmes ? Nous donner toujours plus de choix ?
Pour en savoir plus, découvrez l’interview de Dominique Cardon.