Publication 16 février 2020

Numérique et lutte contre l’illettrisme, avec Elie Maroun

Chargé de mission national à l’Agence nationale de lutte contre l’illettrisme (ANLCI)

Trois questions à Elie Maroun, Chargé de mission national à l’Agence nationale de lutte contre l’illettrisme (ANLCI).

Pouvez-vous nous présenter les missions de l’ANLCI ?

En France, 2 500 000 personnes sont confrontées à l’illettrisme après avoir pourtant été scolarisées. L’Agence nationale de lutte contre l’illettrisme (ANLCI) a pour mission de réunir, d’animer et de soutenir les multiples décideurs et acteurs impliqués dans la prévention et la lutte contre l’illettrisme : pouvoirs publics nationaux, collectivités territoriales, acteurs de la société civile, Opco (les opérateurs de compétences), entreprises et partenaires sociaux. En tant qu’agence gouvernementale constituée sous la forme d’un groupement d’intérêt public, elle oriente son action vers la production de données claires, de méthodes de travail et d’organisation pour que l’action se développe. Elle apporte un éclairage sur la définition, les chiffres de l’illettrisme, coordonne les solutions sur les territoires, outille ceux qui souhaitent agir en diffusant les bonnes pratiques et supervise chaque année en septembre les Journées nationales d’action contre l’illettrisme.

L’ANLCI accompagne le développement de l’usage du numérique comme levier de prévention de l’illettrisme et de maîtrise des compétences de base. Avec l’accélération des transformations numériques de la société, elle est mobilisée pour que « l’illettrisme numérique » ne prenne pas racine aggravant ainsi les situations des personnes en difficulté avec l’écrit.

Vous évoquez parfois une “double exclusion” pour désigner les personnes qui ont du mal à se familiariser avec les outils de communication numérique, alors même qu’elles éprouvent déjà des difficultés à lire et compter. Pouvez-vous nous expliquer ce phénomène ?

L’illettrisme numérique concerne 44% des personnes non diplômées âgées de 15 ans ou plus, selon l’Insee. Pour une personne sur cinq d’entre elles le manque de maîtrise des compétences de base constitue la principale cause de leurs difficultés face au numérique. Pour ces personnes, le combat quotidien pour être autonomes ne se limite plus aux indispensables capacités à lire, écrire, compter… Rechercher et traiter des informations, créer et communiquer des données et comptes personnels en ligne font désormais partie des situations simples de la vie courante de la société. Le défi auquel elles font face quotidiennement est aujourd’hui accentué par la nécessité de maîtriser en plus les outils numériques de la communication écrite et leurs usages pour accéder à leurs droits et exercer leur citoyenneté active. L’exclusion de ces personnes risque de s’aggraver par le fait d’être confrontées à une « double peine », résultante d’un nouvel illettrisme.

Le numérique peut-il devenir un facteur d’inclusion ?

Pour les personnes confrontées à l’illettrisme, le numérique offre sans aucun doute une occasion inédite favorisant leur mobilisation pour s’en sortir. Leur inclusion dans la société numérique d’aujourd’hui dépend très largement d’un accompagnement humain et personnalisé de leurs parcours vers l’autonomie. Cet accompagnement spécifique devra prendre en compte toutes les difficultés de ces personnes dans une approche globale et en partant de leurs aspirations et besoins pour les amener vers l’autonomie. Plus précisément, l’accompagnement pour l’accès au numérique ne devrait ni se limiter à une assistance ponctuelle pour l’accès à un service numérique quelconque, ni exclure des formations visant l’inclusion numérique les personnes qui ne maîtrisent pas suffisamment l’écrit.

C’est pourquoi, l’ANLCI propose une démarche de formation intégratrice de toutes les compétences de base, suscitant l’engagement en formation des personnes en situation d’illettrisme. En ce moment, nous expérimentons cette démarche de formation dans les zones rurales en lien avec le réseau des PEP (Pupilles de l’Enseignement Public), avec le soutien de Lancôme. Ce programme a déjà bénéficié à 150 personnes. Cette action sera aussi déployée par les PEP dans les quartiers de la politique de la ville pour un véritable changement d’échelle.

En lien avec le déploiement de cette démarche auprès des acteurs de la formation de base, l’ANLCI et le GIP (Groupement d’intérêt public) Pix ont réuni leurs efforts pour rendre la plateforme Pix plus accessible aux personnes en difficulté avec les compétences de base. Les travaux lancés l’année dernière concernent en priorité des panels de tests pour l’adaptation des épreuves de Pix et leur intégration dans les pratiques de formation et d’évaluation des parcours de personnes en situation d’illettrisme au sein des organismes partenaires de l’ANLCI.