Publication 22 avril 2022

Numérique, citoyens et pratiques participatives, avec Laurence Monnoyer-Smith

Présidente de la Fondation internet nouvelle génération (Fing)

Les technologies numériques peuvent-elles contribuer à mettre le citoyen au cœur du débat public ? Alors que les canaux de participation, de délibération et d’information citoyennes se sont multipliés ces dernières années, Renaissance Numérique a posé la question à Laurence Monnoyer-Smith. À la suite de sa participation à la troisième édition du « Débat Numérique 2022 », la présidente de la Fondation internet nouvelle génération (Fing) revient sur la tendance à l'instrumentalisation du numérique dans les pratiques participatives, et évoque l’idée d’un « service public de la participation » .

Les canaux de participation, de délibération et d’information citoyennes se sont multipliés ces dernières années. Pourquoi ces nouveaux usages ne réussissent-ils pas à réinventer en profondeur les modes de gouvernance et le rapport des citoyens aux institutions démocratiques ?

On constate en effet que les pratiques participatives se sont multipliées ces dernières années, avec de grands exercices marquants comme la Convention citoyenne pour le climat. L’évolution de la réglementation, avec notamment des débats organisés avec des garants de la Commission nationale du débat public (CNDP), s’est par ailleurs traduite par une forte augmentation de débats locaux. Il y a donc tout de même une évolution dans les pratiques d’inclusion citoyenne dans les processus de décision, en particulier au niveau local.

Pour autant, persiste dans notre culture politique une réelle méfiance dans la mise en œuvre de ces dispositifs. C’est à mon avis lié à trois facteurs congruents. D’une part, le fait que les décideurs constatent que, sur le terrain, les principales personnes qui se mobilisent dans ces exercices sont d’abord, pour aller vite, des “contestataires de tous ordres” (allant des anti-projets aux anti-systèmes) qui ne jouent pas forcément le jeu de la concertation. Ensuite, les élus se sentent encore trop souvent mis en cause dans leur rôle de décideur, et perçoivent la participation comme contradictoire avec la légitimité qu’ils tirent de l’élection. Enfin, l’articulation entre les sorties d’un processus participatif et le processus décisionnel (par exemple législatif) n’a pas été encore suffisamment pensée. À l’instar de ce qui existe pour les débats publics organisés par la CNDP, il faudrait sérieusement penser à accompagner les décideurs dans la mise en œuvre des “sorties” de débats publics. Il existe une Charte de la participation du public qui constitue un référentiel socle pour un dispositif vertueux à laquelle tout organisme qui le souhaite peut adhérer. Ce pourrait être un instrument à déployer beaucoup plus largement.

Sait-on tirer bénéfice du numérique pour accompagner cette transformation ? Vous avez évoqué notamment une forme d’ « instrumentalisation » …

L’utilisation du numérique s’est généralisée pour la plupart des consultations, qu’elles soient menées par le public ou le privé. De multiples expérimentations ont été conduites depuis une dizaine d’années et de très nombreux consultants proposent désormais d’accompagner les consultations par des outils numériques plus ou moins complexes. La question pour moi aujourd’hui est moins technique que politique.

Je parle en effet « d’instrumentalisation » car il ne suffit pas d’avoir une plateforme pour faire de la participation. Il faut avant tout respecter un certain nombre de règles simples, d’ailleurs largement énoncées dans la Charte de la participation : se donner du temps, mobiliser le grand public, permettre aux internautes d’échanger entre eux, être en mesure d’analyser l’ensemble des contributions, proposer des synthèses, et surtout, prendre en compte ce qui a été dit par les internautes. Il faut donc faire attention à ne pas faire du numérique un alibi, mais un véritable appui à une démarche sincère.

Laurence Monnoyer-Smith

Présidente de la Fondation internet nouvelle génération (Fing)

« Il ne suffit pas d’avoir une plateforme pour faire de la participation. Il faut avant tout respecter un certain nombre de règles simples, d’ailleurs largement énoncées dans la Charte de la participation : se donner du temps, mobiliser le grand public, permettre aux internautes d’échanger entre eux, être en mesure d’analyser l’ensemble des contributions, proposer des synthèses, et surtout, prendre en compte ce qui a été dit par les internautes. »

Lors de notre débat, vous avez appelé à la création d’un « service public de la participation ». En quoi consisterait-il ? 

Comme tout service public, il s’agit de mettre à disposition des citoyens et des administrations des outils leur permettant d’exercer un droit, qui a d’ailleurs valeur constitutionnelle. La Direction interministérielle à la transformation publique (DITP) a initié, via le Centre interministériel de la participation citoyenne (CIPC), le portail participation-citoyenne.gouv.fr qui fait un premier pas en ce sens. Ses moyens sont malheureusement extrêmement limités avec un personnel très réduit. Il devrait pouvoir appuyer toutes les consultations gouvernementales en fournissant un soutien en ingénierie, des marchés cadre, et une charte de la participation appliquée à toute l’administration et aux établissements publics, qui définisse un cadre déontologique afin de limiter les risques d’instrumentalisation et d’improvisation liés à des circonstances toujours qualifiées d’urgentes qui en limitent l’efficacité.

Il y a d’importantes économies d’échelle à faire en proposant un appui technique et méthodologique pour tous les débats publics et consultations que l’État souhaite organiser. La CNDP fait partie de ce service public pour la partie environnementale, de même que le Conseil économique, social et environnemental (CESE) depuis la loi organique du 15 janvier 2021. Pour autant, le périmètre de la CNDP est limité aux questions environnementales (même si les textes prévoient qu’elle puisse être saisie plus largement), et les consultations du CESE restent assez confidentielles et sont encore peu suivies d’effets.

Le CIPC pourrait agir comme un think tank dans le domaine, et proposer des analyses, policy briefs et autres parangonnages, pour capitaliser sur les connaissances qui existent par ailleurs depuis longtemps dans la communauté scientifique. Enfin, une loi pourrait encadrer les formes de la participation possibles dans l’élaboration de certains projets de loi, avec un rapport annuel de mise en œuvre par la CNDP, par exemple.