Publication 22 novembre 2023

Gouverner le Métavers et l’internet de demain

Après un travail de recherche de près d’un an, trois journées d’étude (les désormais fameux "Metaverse Dialogues"), et des rencontres avec plus de 50 experts internationaux de divers horizons, Renaissance Numérique publie aujourd’hui son rapport "Gouverner le Métavers et l'internet de demain".

AUTEURS

  • Jessica Galissaire, Responsable des études et des partenariats, Renaissance Numérique

  • Henri Isaac, Maître de conférences, Université Paris-Dauphine - PSL

  • Jean-François Lucas, Délégué général, Renaissance Numérique

Objectifs du rapport et méthodologie

  1. Éclairer les débats autour des enjeux et problématiques du Métavers, en proposant une lecture par le prisme des sciences humaines et sociales, de l’histoire des sciences et des techniques, ou encore de l’économie et de la politique. Et cela à partir de points de vue de différentes parties prenantes : chercheurs académiques, acteurs institutionnels et économiques, notamment.
  2. Formuler des recommandations, et des bonnes questions à se poser, à destination des décideurs, notamment politiques, et des régulateurs, voire des chercheurs.
  3. Continuer d’ouvrir le dialogue avec l’ensemble des experts et la société civile autour du devenir de nos interactions numérisées immersives.

Ce rapport est nourri par les nombreux échanges qui ont eu lieu dans le cadre, et en marge, des trois journées d’échanges organisées par Renaissance Numérique autour du Métavers, les Metaverse Dialogues, par une vaste analyse de la littérature sur le sujet (livres, rapports, articles) et par les résultats de l’étude qualitative Représentations et usages du Métavers, que le think tank a publiée en octobre 2023.

Ce rapport et les Metaverse Dialogues ont été réalisés grâce au soutien financier de Meta, obtenu dans le cadre du XR Programs and Research Fund visant à soutenir la recherche universitaire et indépendante à travers l’Europe autour des questions et opportunités du Métavers. À ce titre, Renaissance Numérique est membre du European Metaverse Research Network. Ce rapport a été réalisé en toute indépendance, à l’image de l’ensemble des travaux du think tank.

Principaux enseignements

Le Métavers n’existera sans doute pas. Les métavers oui. Le Métavers, en tant qu’univers de mondes et d’environnements numériques interopérables, permettant à un nombre illimité de personnes de vivre des expériences immersives, collectives et synchronisées, apparaît aujourd’hui peu réalisable. Et sans doute non souhaitable, au regard des ressources environnementales nécessaires, pour des usages possibles qui se révèlent, pour l’heure, à faible valeur ajoutée par rapport à ceux existants. Toutefois, des milliards d’interactions dans des mondes immersifs, notamment des jeux vidéo, ont lieu quotidiennement. Celles-ci préfigurent des métavers en émergence, qu’ils soient propriétaires ou non, centralisés ou non, mais probablement limités dans leurs interopérabilités et synchronicités.

Micaela Mantegna, Chercheuse affiliée au Berkman Klein Center for Internet and Society, Harvard University, répond aux questions de Renaissance Numérique

Le Métavers est un objet frontière. C’est un catalyseur de représentations diverses et variées, qui met en mouvement et agrège autour de lui des écosystèmes d’acteurs hétérogènes qui évoluent initialement dans des mondes différents. Conséquemment, il existe beaucoup de confusion autour de ce qu’est, pourrait ou devrait être le Métavers, puisque des cultures, des intérêts, des connaissances, des représentations, des imaginaires et des savoir-faire multiples se rencontrent et se confrontent continuellement autour de cet «objet-concept »1 . En 1992, Al Gore faisait des autoroutes de l’information une utopie performative qui allait mettre en mouvement le monde et donner naissance à de nombreux programmes d’investissements technologiques pour la construction d’un réseau de communication planétaire. En 2021, Mark Zuckerberg fait de même avec le Métavers, bien que le concept préexistait à son utilisation.

Le Métavers est un laboratoire heuristique et pratique. Il permet d’imaginer collectivement et de mettre en discussion les contours désirables de l’internet de demain, qu’il soit immersif ou non. Puisqu’il réunit un grand nombre de questions sociales, économiques, environnementales, cognitives, éthiques ou encore juridiques qui se posent aujourd’hui à propos des usages numériques, le Métavers permet de se projeter dans l’internet de demain. Sans faire table rase du passé, mais en prenant racine dans l’existant, dans ce qui fonctionne ou non, avec ce qui est satisfaisant ou non, le Métavers permet d’envisager ensemble les manières dont nous désirons communiquer, nous socialiser, nous cultiver, nous divertir, commercer, etc. Cette mise en discussion collective permet de repenser des lois, des principes ou encore des valeurs dans des perspectives plus égalitaires, inclusives, éthiques, respectueuses de l’environnement ; c’est-à-dire plus responsables vis-à-vis de la société que nous souhaitons construire et voir advenir, qu’elles ne le sont aujourd’hui.

Paul Fehlinger,

Directeur de la politique, de la gouvernance, de l’innovation et de l’impact, Project Liberty’s Institute

« Lorsqu’une innovation de rupture ou une nouvelle technologie émergent, leur encadrement consiste en un mélange entre une part d’autorégulation de l’industrie, une part qui dépend des conditions de marché et une part de gouvernance par les acteurs étatiques. Mais si nous souhaitons éviter d’établir des réglementations lourdes et très prescriptives a posteriori, et aller vers un environnement de gouvernance plus agile, il nous faut adopter une perspective plus holistique de la régulation des nouvelles technologies et nous poser la question suivante : « Quelles normes éthiques peuvent être incorporées dans la couche technologique (protocoles, systèmes d’identité virtuelle, etc.) dès la conception ? ». Cela permettrait probablement d’éviter de nombreuses réactions réglementaires de type "mouvement de balancier" à un stade ultérieur »

S’il existe déjà des cadres légaux permettant de protéger les individus d’un grand nombre d’infractions pénales et de comportements préjudiciables qui pourraient avoir lieu dans les métavers, à l’échelle nationale et internationale, une meilleure homogénéisation des définitions permettrait toutefois de parfaire ce cadre; il n’existe par exemple pas de définition commune de la haine en ligne à l’échelle européenne. Ceci constitue une lacune importante du système judiciaire européen afférent à la protection des internautes. En outre, bien que relativement fourni, le cadre juridique applicable aux métavers souffre d’incohérence. De cette incohérence juridique, et du manque de priorisation entre les différentes règles existantes, découle une certaine ineffectivité du cadre. Ainsi, des interactions sociales plus immersives, dans lesquelles les corps sont engagés, appellent à renouveler ou réactualiser nos approches, du moins nos questionnements, vis-à-vis de l’inclusion, de l’éthique, du multiculturalisme et de la diversité des points de vue. Cette évolution offre la possibilité de repenser la gouvernance de l’internet, en incluant l’ensemble des parties prenantes, notamment les usagers-citoyens. Elle offre l’opportunité de mettre en œuvre une gouvernance réellement multi parties-prenantes, plus agile, qui laisse une plus grande place aux expérimentations, au service de toutes et tous.

Étienne Drouard, Avocat associé chez Hogan Lovells, répond aux questions de Renaissance Numérique

Le Métavers permet de faire converger « toutes les questions posées par le développement du numérique dans les années à venir »2. En cela, il représente une formidable opportunité de s’interroger collectivement sur le numérique et l’internet que nous désirons. Renaissance Numérique a saisi cette opportunité en organisant les Metaverse Dialogues, dont ce rapport constitue une présentation augmentée et argumentée des conclusions qui en sont issues. Le think tank invite à poursuivre les discussions que le Métavers suscite afin de dessiner avec l’ensemble des parties prenantes concernées les contours d’une société numérique désirable et responsable.

Nos 6 recommandations pour une meilleure gouvernance de l’internet de demain

Recommandation #1

Faire la part des choses entre les usages immersifs existants et les usages possibles, qui n’ont trop souvent pour seule réalité que les promesses de leurs prescripteurs. À cet égard, il est également important de considérer avec attention les systèmes de régulation et de modération existants, qui embrassent déjà un certain nombre d’usages possibles des métavers.

Recommandation #2

Faire de la cohérence et de l’applicabilité juridiques une priorité pour les législateurs, notamment pour la prochaine Commission européenne. Le possible avènement du Métavers apparaît comme un parfait laboratoire à cet égard.

Recommandation #3

Mettre en place une standardisation et une "compliance by design", en incorporant dans la standardisation, au-delà des normes en matière de sécurité ou d’interopérabilité, un certain nombre de principes éthiques, voire juridiques. Ceci nécessite toutefois de pouvoir opérationnaliser techniquement de tels principes. Des logiques d’opérationnalisation et d’auditabilité sont ainsi à penser.

Recommandation #4

Développer des processus multi parties-prenantes expérimentaux (par exemple via des bacs à sable règlementaires ou du policy prototyping), afin d’analyser la pertinence du cadre légal existant vis-à-vis du Métavers, et de mettre en avant des recommandations relatives à l’opérationnalisation technique de notions comme le respect de la vie privée, la protection des données personnelles, ou encore la lutte contre le cyberharcèlement.

Recommandation #5

Mettre en place des mécanismes de gouvernance agiles et multi-acteurs afin d’organiser les droits et les devoirs de chacun dans l’internet de demain. La prochaine Commission européenne devrait encourager et développer la mise en œuvre de telles démarches au niveau européen.

Recommandation #6

Encourager les fournisseurs de services en ligne à impliquer les utilisateurs dans la modération des contenus et des comportements, et plus largement dans la régulation des métavers.

Poursuivons le Dialogue

Le Métavers met en tension différents types de développements possibles, qui encapsulent chacun des modèles parfois opposés dans les technologies, les valeurs et les principes qui les fondent ou les régissent. Il met ainsi en lumière des choix de société qui dépassent simplement ceux de nos interactions numérisées, et souligne par là les insatisfactions vis-à-vis de celles que nous réalisons quotidiennement. Or, quelle voix a réellement la société civile dans ces discussions et ces prises de position? Si des chartes et des déclarations faites de bonnes intentions représentent ses intérêts, quels leviers pouvons-nous mettre en place pour développer (ou non) un ou des métavers qui correspondent aux choix de la société?

En outre, la question de la territorialité du droit applicable dans le Métavers risque de se révéler épineuse. Si le droit est nécessairement territorialisé, l’une des promesses du Métavers est, à l’inverse, de pouvoir faire une expérience numérique territorialement non définie, et synchronisée avec une infinité de personnes. Si cette promesse reprend la vision du village planétaire de Marshall McLuhan, une diversité de cultures est probablement amenée à coexister dans le Métavers, puisque cela est déjà le cas dans nos interactions en ligne. Dès lors, la conciliation de différentes acceptions, compréhensions et applications de droits, de conventions ou encore de normes appellera-t-elle à une territorialisation du Métavers? Faudra-t-il par ailleurs, comme le suggèrent les eurodéputés Axel Voss et Ibán García del Blanco, examiner l’idée d’un statut juridique spécial pour les avatars?

En définitive, il faut appréhender le Métavers comme un concept qui permet à la fois d’anticiper des usages immersifs possibles, ce qui amène à anticiper certaines régulations, mais qui actualise et questionne également un grand nombre de représentations, souvent préexistantes aux usages, donc à l’adoption de toute technologie. Conséquemment, au-delà des discussions autour des possibles usages du Métavers qui occupent une place (sans doute trop) importante dans les débats d’experts et dans l’espace médiatique, il convient de s’intéresser plus finement aux imaginaires technologiques et sociétaux qui sont cristallisés dans les différentes représentations du Métavers, où que ces dernières mettent en lumière. Ce n’est que dans leur compréhension, leur partage et leur mise en discussion, que nous trouverons collectivement le chemin d’une construction responsable, ou non, de nos futures interactions numérisées.

 

TÉLÉCHARGER LE RAPPORT

Nous contacter : contact@renaissancenumerique.org

Un rapport interactif !

Explorez également ce rapport de manière interactive sur le site web “Metaverse Dialogues”, où une autre architecture et des ressources complémentaires vous sont proposées ⤵

www.metaversedialogues.org


1 Musso P., Coiffier S., Lucas J.-F (2015), Innover avec et par les imaginaires, Manucius, p.71-75.

2 LINC (2023), Données, empreintes et libertés. Une exploration des intersections entre protection des données, des libertés, et de l’environnement, Cahiers IP, Innovation et prospective, n°9, p. 26.


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